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Photo de Robert CharbonneauRobert Charbonneau

(1911-1967)

Dossier

Le roman selon Robert Charbonneau

Robert Charbonneau et Fran莽ois Mauriac, par Jonathan Livernois, 11 d茅cembre 2010

D'embl茅e, il m'a sembl茅 que l'enthousiasme de jeunes catholiques canadiens-fran莽ais des ann茅es 1930 et 1940 pour la 芦 nouvelle gauche catholique 禄 fran莽aise pourrait mettre en relief l'art romanesque de Fran莽ois Mauriac. L'un de ces jeunes catholiques, le romancier Robert Charbonneau (1911-1967), 茅crivait ainsi, en 1948 : 芦 M. Fran莽ois Mauriac est peut-锚tre avec Georges Duhamel l'茅crivain fran莽ais le plus lu au Canada. 禄 Sensible 脿 un roman catholique qui ne sent pas l'eau b茅nite, Charbonneau, comme ses compagnons de La Rel猫ve, a pu lire Mauriac avec une acuit茅 et une avidit茅 particuli猫res, r茅v茅latrices. Je me suis donc attach茅 aux 茅crits sur le roman de Charbonneau, 脿听Connaissance du personnage听(1944) et 脿听La France et nous听(1948).

Il serait pr茅somptueux de dire que les r茅flexions de Charbonneau ne sont qu'un ersatz de celles de Mauriac. N茅anmoins, sans dire qu'elles sont calqu茅es sur celles du romancier fran莽ais, il faut bien voir qu'elles ne brillent pas par leur originalit茅 et par leur ind茅pendance face aux id茅es d'un Maritain ou d'un Mauriac. Un aspect commun 脿 Mauriac et 脿 Charbonneau a cependant retenu mon attention : l'accent mis sur le personnage romanesque comme r茅v茅lateur de l'Homme 鈥� universel. Charbonneau 茅crit : 芦 Dosto茂evski, qui 茅tait avant tout Russe, atteint 脿 l'humanisme par les racines m锚mes de sa personnalit茅 nationale. Ce qui fait l'universalit茅 des听Fr猫res Karamazov,听c'est qu'il ne s'agit pas uniquement de r茅soudre le myst猫re imm茅diat de l'assassinat du p猫re, mais plus profond茅ment de r茅soudre celui de l'homme et de son destin. 禄 Le roman, chez Mauriac, est avant tout une fa莽on de conna卯tre l'homme, cette personne qui vit le r茅el 鈥� l'ici-bas, le maintenant 鈥搈ais qui est ouverte sur une transcendance : 芦 Nous faisons n么tre cette grande parole d'un romancier russe que Jean Balde, 脿 la fin d'un tr猫s beau rapport sur le roman, a eu raison de rappeler aux 茅crivains catholiques : 鈥淛'ai poursuivi la vie dans sa r茅alit茅, non dans les r锚ves de l'imagination, et je suis arriv茅 脿 Celui qui est la source de la Vie." 禄

Pourquoi cette passion commune pour l'homme, qui passe par l'importance accord茅e au personnage du roman plut么t qu'au d茅cor ou 脿 l'intrigue? Cet 茅l茅ment de la pens茅e romanesque de Mauriac a-t-il contribu茅 脿 s茅duire les jeunes catholiques canadiens-fran莽ais, avides d'un r茅el que l'on ne nie pas 脿 cause du Tr猫s-Haut, mais qui devient plut么t une voie ardue mais royale pour l'atteindre?

Bibliographie

Ouvrages cit茅s

Connaissance du personnage, Montr茅al, l'Arbre, 1944.

Romanciers canadiens, Qu茅bec, Presses de l'Universit茅 Laval, 1972.

Citations

Connaissance du personnage, Montr茅al, l'Arbre, 1944.
芦 La th茅ologie, la philosophie, les sciences, la politique se disputent ce truchement. D'autre part, beaucoup de romanciers recherchent une influence moralisatrice, id茅ologique ou autre. Le roman n'est plus alors une oeuvre d'art. 禄 (p. 11)

芦 Quelles que soient les cat茅gories et les formules, c'est le personnage et, en d茅finitive, l'homme, qui est l'objet du roman. 禄 (p. 11)

芦 Si nous ne pouvons conna卯tre que par accident la conscience de l'homme, nous pouvons, 脿 l'aide de ce que l'analyse et l'intuition nous d茅couvrent, cr茅er un 锚tre fictif dont l'芒me n'ait aucun secret pour le cr茅ateur. 禄 (p. 12)

芦 C'est dans son 锚tre entier, connu par son engagement, que le romancier doit atteindre l'homme. L'analyse diss猫que; le roman seul permet de saisir la vie et de la suivre sans l'immobiliser. Le myst猫re de l'锚tre ne peut 锚tre saisi que dans son mouvement m锚me, 脿 ces sommets o霉 l'homme s'engage tout entier et o霉, en donnant sa mesure, il prend conscience de lui-m锚me. 禄 (p. 14)

芦 C'est la lutte de l'homme contre lui-m锚me, contre son inclination au p茅ch茅 ou les liens et les obstacles qui s'opposent 脿 son bonheur ou 脿 son plaisir, ou sa lutte contre Dieu qui est 脿 la source du drame humain. L脿 se trouve la mati猫re o霉 puisera le romancier, qu'il soit catholique ou incroyant. 禄 (p. 15)

芦 Le devoir du romancier envers la v茅rit茅, le respect qu'il lui doit comme 脿 Dieu qui est son fondement, ne vient pas de ce qu'il est catholique, mais de ce qu'il r茅clame le pouvoir de cr茅er des 锚tres, de leur donner vie. Parce qu'il est catholique, il poss猫de une certitude qui lui interdit de s'arr锚ter 脿 la surface ext茅rieure des 锚tres, aux apparences, et lui fait un devoir de p茅n茅trer au del脿, dans les arcanes de la conscience o霉 se joue le drame, et de d茅m锚ler, s'il le peut, par intuition ou, par discernement, les mobiles profonds des actes. Ainsi pr茅sent茅, le roman est vrai et comme tel moral. 禄 (p. 15-16)

芦 Nous ne pouvons jamais juger un homme; nous pouvons juger son acte, mais nous ignorons 脿 peu pr猫s toujours les motifs qui l'ont d茅termin茅. D'o霉 la n茅cessit茅 de cr茅er des 锚tres vivants, qui soient des hommes que nous puissions conna卯tre dans leur conscience, comme Dieu les conna卯t. 禄 (p. 17)

芦 Avec Balzac, change le p么le d'int茅r锚t. Le personnage se d茅gage des 茅v茅nements dont il n'est plus uniquement le soutien; il a son individualit茅 propre; l'imagination n'est plus l'unique ressort de ses actes. 禄 (p. 19-20)

芦 Le roman est fond茅 sur la v茅rit茅 psychologique des personnages, sur leur v茅rit茅 ontologique. La v茅rit茅 de l'锚tre fictif n'est pas emprunt茅e au r茅el; c'est une v茅rit茅, une authenticit茅 cr茅茅e, analogue 脿 celle-ci, mais distincte. 禄 (p. 21)

芦 Pendant que l'int茅r锚t se d茅pla莽ait de l'茅v茅nement fictif ou r茅el au personnage, con莽u comme ayant une vie individuelle, la position du romancier changeait aussi. De t茅moin, charg茅 de nous relater un 茅v茅nement, ou de moralisateur qu'il 茅tait, il devient le p猫re de son personnage; dans la seconde 茅tape, inaugur茅e par Dosto茂evski, il devient plus encore, son dieu. Mauriac l'a 茅crit avec beaucoup de justesse, le romancier tend 脿 se substituer 脿 Dieu. Le personnage se transforme, d'individu caract茅ris茅 par ses actes et son comportement, en une personne, c'est-脿-dire un 锚tre dou茅 d'une volont茅 libre et d'une conscience. 禄 (p. 21)

芦 Souvent les personnages les plus riches en personnalit茅 n'ont pas et ne peuvent pas avoir de mod猫le dans la r茅alit茅. 禄 (p. 22)

芦 Si la fantaisie ne suppl茅e pas 脿 la vie, elle n'emp锚che pas la cr茅ation de personnages autonomes. 禄 (p. 23)

芦 Andr茅 Gide, 茅crivain admirable dans le r茅cit des choses vues et entendues, notamment dans听Si le grain ne meurt, n'a jamais r茅ussi 脿 cr茅er des personnages capables d'animer un roman. Et pourtant, il r茅ussit 脿 restituer l'apparence de vie et de v茅rit茅 d猫s qu'il s'agit d'茅v茅nements dont il a 茅t茅 le t茅moin. 禄 (p. 23)

芦 Le romancier doit cr茅er une 芒me. Il la tire de lui-m锚me. Il la tire de son esprit et elle prend son imagination, comme l'enfant au sein de sa m猫re, les 茅l茅ments n茅cessaires 脿 son d茅veloppement et 脿 sa vie. Ce travail s'accomplit dans le silence et m锚me dans la s茅cheresse. 禄 (p. 25)

芦 Un des plus 茅minents romanciers, pr茅occup茅 par l'aspect moral du probl猫me de la cr茅ation romanesque, Fran莽ois Mauriac, a trouv茅 la solution de son probl猫me dans le cr茅ateur. C'est dans le cr茅ateur que le probl猫me entier, technique comme moral, se r茅sout. 禄 (p. 25)

芦 On peut distinguer dans le roman les apports de trois grandes sources : la technique, la personnalit茅 du romancier, et un 茅l茅ment de myst猫re que l'on peut appeler le don, le g茅nie, la puissance cr茅atrice. 禄 (p. 26)

芦 On peut comparer la cr茅ation du romancier 脿 la cr茅ation de l'homme. La Gen猫se ne nous dit-elle pas que Dieu tira le corps de l'homme du limon de la terre et lui insuffla une 芒me immortelle. Le limon de la terre pour le romancier ce sont ces images, ces souvenirs, cette exp茅rience emprunt茅s 脿 la vie des autres ou 脿 son pass茅, auquel par un acte myst茅rieux il donne une 芒me. 禄 (p. 30)

芦 Connaissance et cr茅ation ne se confondent pas et c'est la connaissance qui d茅coule de la cr茅ation; non celle-ci de celle-l脿. Le personnage participe 脿 la vie et 脿 l'芒me du romancier o霉 il re莽oit son unit茅. On ne cr茅e pas 脿 partir du r茅el; on cr茅e avec le r茅el qu'on a sublim茅, transpos茅, incorpor茅 脿 sa personnalit茅, dont on nourrit l'锚tre de cr茅ation. 禄 (p. 32-33)

芦 En lisant Dosto茂evski ou Bernanos, on a l'impression d'un risque. On se sent forc茅 de r茅agir contre ce qu'on apprend sur soi pour pr茅server l'unit茅 de sa personnalit茅. Le cr茅ateur, par cr茅atures interpos茅es, va plus loin en nous que nous-m锚mes. L'enjeu, 脿 n'en pas douter, c'est notre 芒me. 禄 (p. 34)

芦 La critique est presque toujours analytique et moralisatrice. Elle s'attache 脿 l'id茅ologie, aux qualit茅s de style, 脿 la logique de la construction plut么t qu'脿 cet 锚tre presque insaisissable par les moyens qu'elle choisit : le personnage. 禄 (p. 35)

芦 On pourrait dire qu'il existe quatre sortes de personnages; les premiers sont des acteurs, ils portent un r么le. On peut classer dans cette cat茅gorie les personnages des romans d'aventure. Les seconds incarnent l'auteur; ils ont la logique des 锚tres humains, la conscience, la v茅rit茅, mais non l'autonomie. Les troisi猫mes ont ces qualit茅s et l'autonomie mais ils vivent en surface; leurs probl猫mes sont d'ordre moral : c'est la chair, le remords. Cette cat茅gorie comprend presque tous les personnages modernes, dont les exigences sont essentielles, mais maintenues par leur auteur sur un plan moral. [鈥 Enfin, il y a des personnages dont la destin茅e est spirituelle : comme ceux de Dosto茂evski et de Bernanos. 禄 (p. 36-37)

芦 Georges Bernanos, qui a d茅but茅 dans le roman en 1926 par la publication de听Sous le soleil de Satan, est celui de tous les romanciers fran莽ais qui ressemble le plus 脿 Dosto茂evski. Il d茅passe d'ailleurs le ma卯tre russe par une logique de composition qui manquait cruellement 脿 l'auteur des听笔辞蝉蝉茅诲茅蝉. Tous les deux par intuition ont saisi l'homme dans son engagement le plus total. 禄 (p. 41)

芦 Bernanos n'ignore aucun des probl猫mes de l'脡glise, du pr锚tre, des passions politiques ou religieuses. Et cependant c'est au del脿, dans le dialogue de l'芒me qu'il se compla卯t.
On pourrait analyser chacun de ses romans, montrer que, le premier, il a rendu sensible la vie spirituelle la plus compl猫te sans qu'aucun de ses personnages divinis茅s ne cesse d'锚tre profond茅ment humain. 禄 (p. 43)

芦 Les pamphlets de Bernanos ou d'autres, les articles, les essais, s'adressent 脿 notre raison; la v茅rit茅 des personnages, 脿 notre conscience. Mais les romanciers qui se servent de la fiction pour pr锚cher ne nous trompent pas. 禄 (p. 44)

芦 Bernanos est la r茅ponse 脿 ceux qui nient que le roman puisse s'annexer le spirituel. 禄 (p. 45)

芦 Chacun trouve en lui [Dosto茂evski] une substance, essentiellement diff茅rente, chacun l'attire 脿 lui sans avoir 脿 le mutiler. 禄 (p. 49)

芦 Dosto茂evski, qui 茅tait avant tout Russe, atteint 脿 l'humanisme par les racines m锚mes de sa personnalit茅 nationale. Ce qui fait l'universalit茅 des听Fr猫res Karamazov,听c'est qu'il ne s'agit pas uniquement de r茅soudre le myst猫re imm茅diat de l'assassinat du p猫re, mais plus profond茅ment de r茅soudre celui de l'homme et de son destin. 禄 (p. 50) 听

芦 Le romancier fran莽ais avant Proust, m锚me quand il est pris par ses cr茅ations, les 茅monde de tout ce qui ne compose pas, leur constituant une personnalit茅 logique qui est propre 脿 la culture gr茅co-latine. Le Russe con莽oit l'homme du roman dans sa r茅alit茅 diss茅qu茅e, rattach茅e par toutes ses fibres 脿 la conscience. 禄 (p. 56)

芦 On n'a pas atteint le fond de ce gouffre en nous de la concupiscence. Notre 茅poque se flatte pourtant d'avoir produit un Proust, un Gide, un Jouhandeau, un Mauriac. La g茅n茅ration d'apr猫s-guerre se glorifiait de ne conna卯tre aucune pudeur dans ce voyage au bout de la nuit. Si bas qu'on atteigne, le myst猫re n'en reste pas moins infini : les t茅n猫bres se referment sur ceux qui avaient trop pr茅jug茅 de leurs forces. Confessions, romans autobiographiques, on y est all茅 de tout. Jamais la sinc茅rit茅 n'a 茅t茅 plus 茅clatante. Cependant, il s'茅crit peu d'oeuvres vraiment d茅finitives faute d'analystes lucides et capables dans une synth猫se vivante d'organiser ce chaos qu'ils viennent de d茅couvrir. 禄 (p. 63)

芦 En Mauriac, il semble que le romancier et l'homme se confondent. Il est impossible de d茅m锚ler l'homme des personnages, parce que m锚me dans ses pages les plus personnelles, c'est par le romancier que nous p茅n茅trons en lui. Peu d'茅crivains se sont plus que lui confess茅s et il est peut-锚tre celui que nous connaissons le moins. Ce qu'il nous livre, c'est toujours un personnage logique, organis茅, unifi茅. Cela donne 脿 ses essais l'int茅r锚t humain d'une fiction. 禄 (p. 63)

芦 Pour Mauriac, le plus grand des crimes, celui qui le pousse 脿 rejeter certaines de ses cr茅atures, malgr茅 tout l'amour naturel pour les 锚tres sortis de son imagination, c'est d'锚tre satisfaits d'eux-m锚mes. Cette conception tr猫s chr茅tienne fait qu'il s'attache 脿 une empoisonneuse parce qu'elle n'est pas satisfaite de sa vie et 脿 cause de cette trace en elle de l'exigence essentielle. 禄 (p. 65)

芦 La vie de Mauriac, sa vie spirituelle est une ascension. Mauriac est de cette race condamn茅e perp茅tuellement 脿 se perfectionner; il peut se d茅sint茅resser de son oeuvre publi茅e parce que son effort pour la 鈥渃omposer鈥� la lui fait d茅passer; son art 鈥� et son style plus que tout le montre, 鈥� est d'abord une victoire sur soi. 鈥淣ous nous cr茅ons, dit-il, dans le Roman, rester jeune c'est ind茅finiment rester perfectible.鈥� Barr猫s son ma卯tre 茅tait du m锚me sang. Pascal aussi. Par contre, un Balzac semble fix茅 d猫s le d茅but. Il se renouvelle mais ne montre pas ce perfectionnement int茅rieur. 禄 (p. 73-74)

芦 nous voyons que les personnages de Mauriac ne seront pas des volontaires. La gr芒ce leur manque. Mauriac ne nie pas son action; mais nous ne la voyons que rarement intervenir, peut-锚tre parce qu'aucun d'eux ne la demande. Il ne semble pas s'expliquer, au d茅but, le mode d'intervention de la gr芒ce dans la nature. 禄 (p. 77)

芦 Le monde pour lequel il 茅crit, comme celui qu'il peint ne s'accorde plus, ainsi qu'il l'a dit lui-m锚me, sur la loi morale. La peinture du monde moderne, pour 锚tre exacte doit 锚tre le miroir des mis猫res d'un monde sans Dieu. Les lois contre lesquelles se r茅volte l'individu, n'茅tant plus les lois sociales, 鈥� la soci茅t茅 m锚me se liguant contre Dieu, 鈥� ni celles de la famille, ce sont les lois d'essence divine. 鈥淟e romancier, dit Maritain, peut et doit tout peindre, 脿 condition qu'il le fasse sans connivence et qu'il ne soit pas avec son sujet en concurrence d'avilissement.鈥�
Dans les premiers romans se glisse une certaine connivence, mais la sinc茅rit茅 d'un Mauriac ne pouvait se contenter d'un catholicisme n茅gatif. Nul n'a cherch茅 avec plus de pers茅v茅rance et aussi plus de bonheur 脿 concilier le catholique et le romancier, peut-锚tre parce que chez Mauriac ils sont plus 茅troitement li茅s que dans tout autre. 禄 (p. 78)

芦 Nous consid茅rons听le听Noeud de vip猫res听comme le chef-d'oeuvre du roman catholique et le z茅nith de Mauriac, mais ce n'est pas 脿 dire que nous le mettons en dehors de toute comparaison. Avant听Ce qui 茅tait perdu,听le听Noeud de vip猫res听et听le听Myst猫re Frontenac听qui mettent en pratique sa th茅orie personnelle du roman catholique, Mauriac s'est class茅 au premier rang des romanciers fran莽ais avec听le听D茅sert de l'Amour,听骋茅苍颈迟谤颈虫, la trag茅die de l'amour maternelle d茅vastateur, et听Destins, o霉, malgr茅 la sympathie trop 茅vidente avec laquelle il peint les amants passionn茅s et particuli猫rement ce trouble Bob Lagave, il ne cesse jamais de rester un romancier chr茅tien. 禄 (p. 79-80)

芦 la conscience des autres nous est ferm茅e; elle ne l'est pas 脿 Dieu; elle ne l'est pas au romancier en tant qu'il est le dieu de ses personnages, qu'il les a tir茅s de sa chair et de son h茅r茅dit茅 et habill茅s de ses observations, mais non tir茅s de la vie. La reconstitution de la vie n'est pas la vie. Elle est reconstitution intellectuelle ou imaginative, elle est document. Duhamel a bien senti la faiblesse de ses cr茅atures et il a tent茅 脿 plusieurs reprises de se justifier, la derni猫re fois dans 鈥淚nventaire de l'ab卯me鈥�. 禄 (p. 85)

芦 Dosto茂evski [鈥 est un commencement. Bloy aussi. Le premier parce qu'il a r茅volutionn茅 l'art du roman; Bloy, parce que les prolongements mystiques et spirituels de son oeuvre ont accidentellement des vertus apolog茅tiques et th茅ologiques qui se cristalliseront plus tard dans ses oeuvres. 禄 (p. 95)

芦 Chez Bloy, il n'y a jamais 脿 proprement parler de roman, parce qu'il ne sut jamais s'astreindre 脿 composer, mais surtout parce qu'il ne put jamais cr茅er un personnage. Tous sont la projection de sa personnalit茅. 禄 (p. 98)

芦 Loin de nous la pens茅e de conseiller sans discernement la lecture de Gide 脿 des personnes non pr茅par茅es. Mais il reste que l'attitude du chr茅tien, si elle doit 锚tre inspir茅e par la prudence, ne doit pas l'锚tre par la crainte. 禄 (p. 100)

芦 je ne crois pas qu'on ait r茅ussi un livre profond茅ment humain et une oeuvre d'art avec certains cas trop industrieusement fouill茅s d'invertis, Proust except茅. 禄 (p. 104)

芦 au point de vue de la structure, tous ses expos茅s [ceux de Balzac], comme d'ailleurs ceux de Dosto茂evski, sont trop longs. Ce d茅faut d'architecture, 茅vident chez les deux, est leur plus grave d茅faut. C'est dans l'ensemble et le roman termin茅 qu'on peut juger l'oeuvre, non dans ses parties. 禄 (p. 113)

芦 On ne saurait parler de la cr茅ation dramatique de la m锚me mani猫re que de la cr茅ation romanesque : les cr茅ations dramatiques ont besoin pour vivre de la repr茅sentation : en d'autres mots elles sont le r茅sultat de la collaboration de l'auteur, de l'homme de th茅芒tre et du spectateur; dans le roman, les cr茅atures sont autonomes et n'ont besoin d'emprunter 脿 aucune chair 茅trang猫re la substance et la vie. 禄 (p. 119)
Romanciers canadiens, Qu茅bec, Presses de l'Universit茅 Laval, 1972.
芦 le roman litt茅raire, c'est-脿-dire le roman qui ne consiste pas uniquement 脿 raconter une aventure, mais qui contient des personnages vivants o霉 les hommes peuvent se reconna卯tre avec leurs aspirations, leurs aspirations profondes, leurs inqui茅tudes, leurs relations sociales, leur destin茅e humaine et surnaturelle est, par sa d茅finition m锚me, universel. Les romans peuvent, sans rien perdre de leur port茅e et de leur densit茅, 锚tre transpos茅s d'une langue 脿 l'autre. Ils int茅ressent tous les hommes 脿 la seule condition que ceux-ci soient conscients de la fraternit茅 qui les unit. 禄听 (p. XVII)

芦 Les romanciers se font toujours du h茅ros romanesque une conception plus ou moins avou茅e et consciente et qui correspond, si l'on veut, 脿 l'homme qu'ils auraient d茅sir茅 锚tre dans les livres qu'ils lisent et dans la vie. 禄 (p. 19)

芦 Rien de plus oppos茅, semble-t-il, que la conception que le romancier et l'historien se font de la vie; l'un s'茅l猫ve des 茅v茅nements jusqu'脿 l'homme; l'autre part de l'homme et r茅invente le monde autour de ses sentiments, de ses pens茅es, de son action. Et n'allons pas imaginer qu'il n'y a l脿 qu'une diff茅rence de m茅thode! C'est la notion m锚me d'homme qui est en jeu. Car si l'humanit茅 id茅ale cr茅茅e par les 茅crivains peut faire concurrence 脿 l'茅tat civil, elle diff猫re pourtant essentiellement de l'humanit茅 r茅elle que l'histoire nous restitue parfois si p茅niblement. Entre l'锚tre fictif et l'homme r茅el, m锚me disparu depuis mille ans, celui-l脿 peut nous para卯tre plus proche, l'autre seul est entr茅 dans l'茅ternit茅鈥� 禄 (p. 27)

芦 Le po猫te n'a pas 脿 se pr茅occuper de la vraisemblance et la fable est un art fond茅 sur l'all茅gorie. Mais le roman ne peut que difficilement prolonger une all茅gorie au del脿 de deux cents pages; par essence la fable, l'all茅gorie doivent 锚tre courtes; il y va de leur perfection. La po茅sie, 脿 cause de l'enchantement qui lui est propre, peut se servir du symbole, de l'all茅gorie. L'art du roman est et doit rester plus r茅aliste. 禄 (p. 139)

芦听L'int茅r锚t du roman fran莽ais repose moins sur le r茅cit que sur la connaissance de l'homme. Le romancier est un moraliste.听On accorde aussi beaucoup d'importance 脿 sa m茅thode et 脿 son style. Tout romancier fran莽ais ambitionne d'锚tre philosophe. D'o霉 la听port茅e sociale des oeuvres. Au fond, le Fran莽ais n'aime pas les romans. Il faut qu'ils soient aussi autre chose. Il ne lit pas un roman pour lui-m锚me, mais parce qu'il est l'oeuvre d'un grand 茅crivain. Cela ajoute 脿 la confusion. 禄 (p. 141)

芦 Ce n'est pas seulement le roman qui traverse une crise, c'est toute la litt茅rature. Et si paradoxal que cela paraisse, cette crise vient de ce que la litt茅rature d'aujourd'hui ne s'adresse plus 脿 un public, mais 脿 des publics. Tant que la litt茅rature a eu une port茅e sociale, un Claudel n'aurait pas 茅t茅 possible, un Gide, un Cocteau, non plus.
La crise a aussi un aspect technique. Les grandes disciplines d茅couragent des auteurs versatiles, press茅s, assur茅s de trouver pour n'importe quoi un public. Ce sont des esprits 茅trangers 脿 la po茅sie, au th茅芒tre, 脿 la fiction qui r茅volutionnent la po茅sie, le th茅芒tre, le roman. La forme qui a permis 脿 des 茅crivains aussi diff茅rents que Stendhal, Balzac, Dosto茂evski, Bernanos, de donner des chefs-d'oeuvre n'est pas 茅puis茅e. Aujourd'hui, tout commen莽ant veut 茅crire une oeuvre qui ne ressemble en rien 脿 celles qu'il a lues. Il se cr茅e un m茅tier, une langue, un genre plut么t que de se mettre 脿 l'茅cole. 脌 ce compte,听le jour n'est peut-锚tre pas loin o霉 chacun se constituera son propre alphabet pour ne rien devoir au pass茅.听禄 (p. 142)

芦 La technique est comme la grammaire; elle est un 茅l茅ment essentiel, mais elle ne doit pas 锚tre la pr茅occupation principale du cr茅ateur;听le premier signe qu'on n'a rien 脿 dire c'est de chercher des mani猫res de le dire.听禄 (p. 143)

芦听Le romancier est le premier de ceux qui usurpent devant le commun le r么le du moraliste.听Balzac ne craignait pas en marge de ses romans d'茅crire la conception qu'il se faisait de la morale, de la religion ou de la politique. Ces r茅flexions sont des hors-d'oeuvre souvent plac茅s 脿 part et qui entravent rarement la marche du r茅cit. L'auteur exprime une opinion : on se soucie assez peu qu'il se trompe puisque ses id茅es sont expos茅es sans d茅tours dans un ensemble coh茅rent que chacun peut accepter ou refuser. 禄 (p. 150)

芦 Le romancier moderne, conscient de ce r么le de moraliste, tout en d茅crivant ses personnages de l'ext茅rieur se sent pouss茅 par le d茅sir d'influencer le lecteur 脿 intercaler des id茅es personnelles ou des jugements qui rel猫vent de sa philosophie de la vie. 禄 (p. 150)

芦 Cet exemple est choisi entre mille. Il indique听l'intention du romancier d'envahir le domaine voisin du moraliste, d'agir directement sur l'opinion du lecteur.听Le moraliste est un homme avec qui on discute. On ne discute pas avec le romancier. On ne se d茅fend pas contre lui et c'est ainsi que le roman, la com茅die comme le cin茅ma, qui les prolonge tous les deux, agissent profond茅ment, d'une fa莽on subtile, sur la conception que l'homme se fait de la vie et de ses valeurs. 禄 (p. 151)

芦 Si la litt茅rature engag茅e devait 锚tre prise au s茅rieux, si les romanciers abandonnaient les grandes traditions, on verrait la d茅cadence de ce genre et bient么t sa mort. 禄 (p. 152)
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