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脌 propos du film聽Comme un avion聽(2014) de Bruno Podalyd猫s, qu'il 茅tait appel茅 脿 commenter, Christian Oster disait de sa finale qu'elle n'茅tait pas r茅ellement une fin : 芦 en fait, dit Oster en parlant du personnage principal du film, son voyage ne s'ach猫ve pas. Il s'interrompt dans une esp猫ce d'apoth茅ose et de synth猫se de tout. 禄 (Oster et Podalyd猫s, 2015) Oster ajoutait : 芦 J'ai sans arr锚t ce th猫me qui est pr茅sent pour moi qui est que [鈥�], il est hors de question d'atteindre quoi que ce soit. Si on atteint quelque chose, c'est fini, c'est mort, et c'est la mort. 禄 (Ibid.) Cette interpr茅tation, qui nous renseigne moins sur le film que sur l'oeuvre d'Oster, semble placer l'茅crivain dans l'h茅ritage de Samuel Beckett. Cette association entre la fin et la mort n'est effectivement pas sans rappeler l'incipit de聽Malone meurt聽ou d'autres romans, pi猫ces de th茅芒tre et po猫mes de Beckett. Christian Oster, toutefois, lorsqu'interrog茅 sur des possibles recoupements entre ses livres et ceux de l'auteur d'En attendant Godot, pr茅f猫re sinon s'en distancer, au moins nuancer la filiation : 芦 La notion de n茅ant est vide. Il n'y a pas de probl茅matique du vide chez moi, mais du manque, c'est diff茅rent. Il existe un manque affectif essentiellement. Mais je ne traite pas de la question du vide ontologique. 禄 (Auger, 2006, p. 125) La mort, si elle hante les pages des romans d'Oster, ne le fait pas comme dans les oeuvres de Beckett. Elle n'est pas cette grande figure ombrageuse qui, comme un trou noir, aspire tout, d茅sirs, paroles et vie(s), mais une force latente qui inqui猫te les personnages au sein de leur existence quotidienne.

Bien que cette crainte de l'immobilit茅 finale ne soit que tr猫s peu apparente, qu'occasionnellement pr茅sente textuellement, n'emp锚che qu'elle habite constamment les personnages osteriens. 脌 ce titre, cette pr茅sence-absence de la mort est chez Oster 脿 l'origine d'une po茅tique forte et coh茅rente du roman comme d茅placement et mouvement : les personnages se d茅placent (en voiture, en transports en commun, etc.) pour contrer l'ennui, l'oisivet茅 et, surtout, l'immobilit茅, signe de la mort. Cette crainte de l'arr锚t final, qui se lit notamment dans les th猫mes privil茅gi茅s du passage du temps 鈥� ce 芦 grand muet 禄 (Oster, 2013, p. 56) 鈥� et du vieillissement, motive le d茅placement. Or cette intuition que les choses, personnages et paroles se doivent de constamment se mouvoir, met 脿 nue moins une volont茅 du mouvement qu'un 茅vitement de l'immobilit茅. Le d茅placement est plus subi que d茅sir茅. Il est par ailleurs fort 茅clairant, pour saisir la po茅tique d'Oster, de d茅couvrir dans les entretiens lors desquels l'茅crivain d茅ploie sa po茅tique et sa pens茅e du roman un 茅crivain tr猫s peu conflictuel, fortement pacifi茅. Sans 锚tre en dehors des r茅cits de l'histoire litt茅raire, Oster ne se r茅clame pas r茅ellement d'茅crivains ou d'茅coles litt茅raires (quand il le fait c'est sans grande insistance), pas plus qu'il ne s'oppose farouchement 脿 d'autres.

Le d茅placement comme moteur de la po茅tique osterienne traverse et organise l'ensemble du discours de l'茅crivain sur sa pratique romanesque, de la question de l'茅criture, 脿 celle du personnage et, de mani猫re g茅n茅rale, 脿 la question du roman comme forme. Le pr茅sent travail, 脿 partir des entretiens donn茅s par l'auteur, propose un rapide parcours de ces 芦 niveaux 禄 (茅criture, personnage, roman) qui fondent la pratique romanesque osterienne. En filigrane, la trajectoire 茅ditoriale de l'茅crivain appara卯t, de sa premi猫re publication aux 脡ditions de Minuit en 1989 脿 son transfert aux 脡ditions de l'Olivier en 2011, date 脿 partir de laquelle l'茅crivain occupe une place m茅diatique plus importante. Cette participation tardive au jeu de l'entretien explique d'ailleurs le ton souvent r茅trospectif de sa r茅flexion sur son art.

L'aventure de l'茅criture.

D'abord publi茅 aux 脡ditions de Minuit, Christian Oster est fr茅quemment associ茅 au groupe d'茅crivains rep茅r茅s par J茅r么me Lindon, dont le c茅l猫bre 茅diteur a qualifi茅 leur style d'茅criture d'impassible听: il s'agissait d'un adjectif pour d茅signer la banalit茅 de leur style, souvent re莽u comme froid et distant. Dans un entretien 脿 quatre anim茅 par Dominique Viart et Dominique Rabat茅, dans lequel figurait 茅galement le po猫te Antoine Emaz, Viart questionnait Oster 脿 savoir s'il croyait le qualificatif 芦 impassible 禄 toujours 脿 m锚me de cerner la singularit茅 de sa plume. Sans totalement rejeter l'hypoth猫se, Oster r茅pondait, certes, que cette 芦 notion a[vait] du sens 禄 (Rabat茅, Viart, 2009, p. 290), mais qu'elle 茅tait en revanche an angle 芦 limitatif 禄 (Ibid.) de compr茅hension de son style. Affirmant que la notion d'impassibilit茅 茅tait peut-锚tre p茅rim茅e, l'茅crivain s'expliquait : 芦 Je crois que je ne suis pas le seul 脿 avoir 茅volu茅 vers la volont茅 de faire 茅merger l'affect, c'est-脿-dire de faire en sorte que le travail de la langue n'enfouisse pas ni l'affect ni, pour ce qui me concerne, le propos narratif auquel je suis tr猫s attach茅. 禄 (Ibid.)

Oster a cependant conscience, en relativisant son 茅tiquette d'茅crivain impassible, d'op茅rer un 芦 choix esth茅tique 禄 (Ibid., p. 290-291) en regard du genre du roman. Pour l'茅crivain, ce pari de l'impassibilit茅 茅tait 芦 au d茅part une esp猫ce de pente naturelle, de r茅action de d茅fense par rapport 脿 [鈥�] une / pudeur qui consiste 脿 se m茅fier du genre romanesque et 脿 le d茅signer comme tel. [鈥�] Comme il est tr猫s solide, comme cet aspect d茅fensif chez moi est tr猫s solide, et chez les autres c'est parfois pire, je peux m'atteler 脿 le combattre pour essayer de faire surgir l'affect. 禄 (Ibid.) Si ce combat avec l'impassibilit茅 est ce qui permet de faire surgir les affects et le romanesque chez Oster, cette lutte est aussi ce 脿 partir de quoi le sujet (la subjectivit茅) fait son apparition dans le texte. En att茅nuant la notion de blancheur pour qualifier son oeuvre, comme il att茅nuait celle d'impassibilit茅, Oster montre que ce n'est que par contraste avec d'autres romanciers au style plus 茅clatant qu'il est possible de penser ses propres romans en termes de neutralit茅 de style et d'impersonnalit茅 :

Je crois que derri猫re cette id茅e de blancheur, il y a autre chose qu'on essaie d'exprimer. C'est sans doute une volont茅 d'茅vacuer un certain nombre de vieilleries stylistiques, litt茅raires au nom d'une forme de modernit茅. Je pense que c'est ce qu'on vise 脿 atteindre. Il faudrait plut么t parler d'un effet de blancheur et d'une blancheur qui serait pleine de quelque chose d'autre que ce blanc. C'est comme si on demandait en parlant de blancheur au lecteur qui se confronterait 脿 une 茅criture blanche d'锚tre double et de sentir 脿 la fois la volont茅 d'茅vacuer le lyrisme, le pathos ou je ne sais quoi, et la pseudo-matit茅 qui serait le reste de cette / tentative. Quand on parle de blancheur, on parle d茅j脿 de duplicit茅 donc d'une attitude litt茅raire qui s'inscrit en contraste par rapport 脿 une tradition. Dans ce sens-l脿, je crois qu'on peut peut-锚tre en parler. En m锚me temps, pour moi, 脿 aucun moment, je ne peux m'identifier 脿 la notion de 芦 plat 禄 qui a 茅t茅 茅voqu茅e, de neutralit茅, sauf 脿 utiliser la neutralit茅 comme effet ponctuel dans un ensemble narratif, bien entendu par diff茅renciation. Je crois qu'au contraire tout ce que je m'efforce de faire et tout ce que, me semble-t-il, la plupart des 茅crivains s'efforcent de faire, c'est de faire un acte litt茅raire, de cr茅er quelque chose et non pas de s'absenter. (Ibid., p. 289-289)

Comme le croit Oster, 芦 de toute fa莽on, 茅crire c'est rechercher une forme comme en peinture 禄 (Auger, 2006, p. 125). La neutralit茅 du sujet, de l'affect et du style ne l'est qu'en comparaison d'autres formes de subjectivit茅s, d'exp茅riences sensibles et de styles. L'茅criture comme le personnage osteriens, bien que caract茅ris茅s par leur nature peu conflictuelle, ne sont jamais neutres, m锚me si, comme l'explique l'茅crivain, ils peuvent produire des聽effets聽de blancheur.

Antoine Emaz, dans l'entretien anim茅 par Viart et Rabat茅, r茅pondait aux questions sur la blancheur et l'impassibilit茅 de son 茅criture en se rapportant 脿 ce qu'Andr茅 du Bouchet, parlant de Reverdy, d茅signait en tant 芦 [qu']images invisibles 禄 (Rabat茅 et Viart, 2009, p. 295). De l'avis d'Emaz, 芦 Reverdy a 茅t茅 le premier th茅oricien de l'image 禄 (Ibid.), plus sp茅cifiquement de cette image invisible qu'on ne reconna卯t pas d'abord et qu'on ne voit pas passer dans la lecture, mais qui demeure tout de m锚me une image. Pour exposer la singularit茅 de ces images invisibles, Emaz explique : 芦 Elle fait presque partie de la normalit茅. Il y a ces images invisibles chez moi. [鈥�] Ce que je n'aime pas, c'est quand l'image clinque et c'est en ce sens-l脿 que je n'aime pas l'image surr茅aliste ni le 鈥渟tup茅fiant image鈥�. 禄 (Ibid.) Pour Oster, qui ent茅rine les propos de son coll猫gue po猫te, c'est pr茅cis茅ment 芦 ce qui diff茅rencierait [leurs] 茅critures [celle d'Emaz et la sienne] de ce qu'on appellerait une 茅criture blanche, strictement blanche 禄 (Ibid., p. 296). Ni compl猫tement absente, ni trop 茅vidente, la qualit茅 de l'image invisible r茅sume 脿 elle seule la mesure qui caract茅rise l'entreprise romanesque d'Oster. Ce qu'il appelle l'芦 aventure minimale 禄 (Oster et Podalyd猫s, 2015) se joue tant dans les micros d茅placements que les images provoquent sur le plan de la langue que sur le tableau des infimes perturbations qui d茅vient le cours de la narration. Oster conc猫de ais茅ment que c'est ce qu'il essaie 芦 de faire dans [s]es romans, de pas aller trop loin, mais de faire en sorte que鈥� il appara卯t des choses, il surgisse des choses : l'茅motion et tout 莽a 禄 (Ibid.).

C'est toutefois graduellement que ces images invisibles se sont inscrites dans l'oeuvre d'Oster. 脌 propos de聽Volley-Ball, son premier roman, publi茅 chez Minuit en 1989, l'茅crivain rappelle l'obstination avec laquelle il rejetait consciemment toute forme d'image ou d'analogie : 芦 dans mon premier roman qui s'appelle聽Volley-Ball, il y a un refus conscient, d茅lib茅r茅 et constant de la m茅taphore, c'est-脿-dire que dans聽Volley-Ball聽il n'y a aucune m茅taphore. C'茅tait voulu, c'茅tait recherch茅. 禄 (Rabat茅 et Viart, 2009, p. 294) Dans sa production romanesque r茅cente, il admet avoir op茅r茅 un changement, ayant trouv茅 l'茅quilibre et la minutie qui caract茅risent si bien son travail : 芦 Je ne refuse pas la m茅taphore, je ne refuse pas la non-m茅taphore, je ne refuse rien, j'茅cris ce qui me vient, c'est tout. 禄 (Ibid.) Or, du moment qu'elle s'installe dans son 茅criture, la m茅taphore, notamment, donne lieu, oui, 脿 une aventure minimale et 脿 ce qu'Oster appelle apr猫s Jean Ricardou une 芦 aventure de l'茅criture 禄; car si la trame narrative est effectivement peu riche en rebondissements hauts en couleur, c'est dans l'attention 脿 la prosodie et au rythme, au grain de la langue, 脿 savoir pour Oster dans le 芦 mouvement de l'茅criture 禄 (Ibid., p. 292), que naissent des surprises, des combinaisons fortuites, des agencements lexicaux et conceptuels 茅tonnants. Oster pousse par ailleurs cette logique d'un mouvement interne 脿 l'茅criture en posant une pr茅s茅ance de la forme sur le sens : 芦 Je ne peux pas continuer 脿 茅crire si je sens pas de rythme, je peux pas finir une phrase si je sens pas qu'elle chute, non pas de fa莽on spectaculaire, mais musicalement ou rythmiquement, qu'elle chute bien. Parfois y a rien, une syllabe de trop, je sais pas. C'est une question de rythme. 禄 (Evin, 2015)

Au bout du compte, rejetant l'id茅e d'une 芦 alchimie myst茅rieuse 禄 de l'茅criture (Rabat茅 et Viart, 2009, p. 292), Oster con莽oit tout de m锚me l'invention et la d茅couverte dans le cadre de l'acte d'茅criture au centre de sa d茅marche romanesque : 芦 Vous savez, ce sont des phrases qui s'aboutent, au sein de la m锚me phrase les mots s'aboutent les uns aux autres [鈥�]. 禄 (Evin, 2013) Oster d'ajouter que les mots, 芦 parfois, font d茅river du concret vers le mental, et quelque chose de concret peut tr猫s bien amener comme 莽a au d茅tour d'une ligne, 脿 une consid茅ration mentale. Tout est m茅lang茅 et tout est li茅, en fait, 脿 ce que quelqu'un que j'ai bien connu appelait 鈥渓'aventure de l'茅criture鈥�. 禄 (Ibid.)

Le personnage, cet inconnu.

脌 l'occasion de la parution de son roman聽En ville聽(2013), Christian Oster expliquait 脿 Kathleen Ervin lors d'un entretien sur ce livre que, 芦 jusqu'脿 pr茅sent, [il] connaissai[t] bien [s]on narrateur 禄 et que 芦 depuis quelques ann茅es, [il] le connai[ssait] de moins en moins bien 禄 (Ibid.), ce qui force d茅sormais l'茅crivain 脿 se lancer 脿 sa d茅couverte : 芦 Je pars 脿 sa recherche en cours d'茅criture et j'essaie de le d茅finir au fur et 脿 mesure. 禄 (Ibid.) Parlant d'un personnage du roman, Oster rench茅rit : 芦 Moi, je la connais pas cette femme-l脿, pas plus que les autres. En fait je ne connais personne dans ce livre et ce sont des gens que je d茅couvre au fur et 脿 mesure et qui v茅hiculent un certain nombre de pens茅es que moi, effectivement, je peux avoir. 禄 (Ibid.) 脌 partir de cette repr茅sentation du personnage comme inconnu, la r茅flexion d'Oster se d茅ploie sur deux plans distincts : un premier qui concerne des 茅l茅ments d'ordre narratif (description des personnages, caract茅risation de leur psychologie et de leur biographie) et un second plan sur lequel se joue une r茅flexion existentielle enclench茅e 脿 partir de la notion de personnage, qui concerne plus g茅n茅ralement la vie.

La conception osterienne du personnage semble au premier coup d'oeil recouvrir un aspect 茅sot茅rique, non loin du discours des 茅crivains qui se disent guid茅s dans l'茅criture de leur roman par des personnages autonomes, pr茅existants au travail d'茅criture, et qu'ils n'auraient qu'脿 reconna卯tre. Chez Oster, cette d茅couverte est cependant moins celle d'un individu ind茅pendant de la conscience de l'茅crivain qu'une forme de disponibilit茅 et d'attention 脿 ce qui surgit de non planifi茅 dans l'茅criture de dialogues, de p茅rip茅ties ou d'intrigues romanesques. Les personnages d'Oster sont ainsi remarquables par la pauvret茅 de leur description psychologique comme par l'absence presque totale d'茅l茅ments de biographie. L'茅crivain explique qu'il fournit tr猫s peu 芦 de d茅tails sur l'apparence physique du personnage 禄 (Evin, 2015) tout en pr茅cisant que cette parcimonie rel猫ve d'un enjeu banalement narratif : 芦 lorsqu'on 茅crit 脿 la premi猫re personne, 脿 moins de verser dans le genre 鈥渏e me suis regard茅 dans la glace, je me suis trouv茅 gras, etc.鈥� ou 鈥渏e suis un homme de telle taille, j'ai telle complexion鈥�, ce qui est aussi un genre presque litt茅raire, que je ne pratique pas [鈥�]. 禄 (Ibid.) Plus frappant encore, les personnages et narrateurs osteriens ne pr茅sentent que des indications biographiques t茅nues, si bien qu'ils paraissent bien souvent tomb茅s du ciel : 芦 Si je place un personnage dans une situation donn茅e, je fais l'茅conomie du r茅cit de son pass茅, mentionnant seulement qu'il vient d'锚tre quitt茅 : le deuil amoureux est d'ailleurs un sujet r茅current dans mes textes car je ne suis pas hostile 脿 la variation infinie sur le m锚me th猫me [鈥�]. 禄 (Auger, 2006, p. 127)

Le personnage osterien est en quelque sorte un homme sans qualit茅s, mais cet 茅tat initial du personnage est cependant moins une valeur lui 茅tant intrins猫que qu'un dispositif d'茅criture qui force 脿 instaurer dans le roman une dynamique du d茅placement. Oster propose ainsi 芦 [qu']il est possible que les rencontres que fait le narrateur au cours de son voyage [鈥�] servent d'une part 脿 le r茅v茅ler au lecteur et 脿 le r茅v茅ler [脿 lui-m锚me], car [il] ne le connais pas au d茅part 禄 (Oster, 2011). Chez Oster, le personnage n'est presque jamais guid茅 par sa propre volont茅. Ce sont toujours des 茅v茅nements hors de son contr么le (rencontres hasardeuses, accidents ou mort d'un ami, par exemple), c'est-脿-dire des forces qui lui sont ext茅rieures, qui le font agir. Dans un entretien 脿 l'茅mission聽L'humeur vagabonde, l'animatrice Kathleen Ervin notait 脿 ce propos l'allure 芦 flottante 禄 (Evin, 2013) du narrateur du roman聽En ville. Oster expliquait :

Il flotte, bien s没r, mais il est pris dans des contraintes et dans des activit茅s qui sont en fait d茅finies tout simplement par le sc茅nario que moi j'ai con莽u pour ce livre, c'est-脿-dire que moi je voulais que dans ce livre, justement, il y ait beaucoup de mouvement, puisqu'on ne se d茅place pas g茅ographiquement je voulais qu'il y ait beaucoup, en tout cas, d'action, et le groupe d'amis qui est d茅crit ici est un peu l脿 pour 莽a : pour cr茅er des perspectives, des rendez-vous, des accidents qui permettent effectivement au personnage principal, au narrateur de s'agiter, effectivement, aller 脿 l'h么pital. J'ai souvent recours 脿 des 茅v茅nements ext茅rieurs qui font se mouvoir le narrateur. C'est pas forc茅ment lui. Par le pass茅 je l'ai fait se mouvoir par ses propres besoins, par ses propres d茅sirs. L脿 justement, comme il est un petit peu flottant, il se meut avec les autres et par les autres. 脟a c'茅tait une n茅cessit茅 sc茅naristique pour moi. Et puis de voir comment il se d茅battait. (Ibid.)

L'inconnaissance du personnage est chez Oster, dans un premier temps, reli茅e directement 脿 des probl猫mes d'茅criture qui concernent le sc茅nario (c'est le terme qu'emploie fr茅quemment Oster) du roman et 脿 une mani猫re de mettre en sc猫ne le personnage : des 茅v茅nements qui forcent le personnage 脿 sa d茅placer et 脿 avoir des interactions r茅v猫lent sa nature. Or 脿 travers cette conception du personnage, Oster est conduit 脿 une r茅flexion de nature plus profonde sur la question de la vie, sur l'exp茅rience de ce que signifie 锚tre en vie. Il note 脿 cet 茅gard un changement dans sa carri猫re d'茅crivain : 芦 je bascule de probl猫mes, disons, sentimentaux vers des probl猫mes, avec tous les guillemets qu'on voudra, que je qualifierais disons d'鈥渆xistentiels鈥�. 禄 (Ibid.) Le peu d'int茅riorit茅 des personnages et leur faible volont茅 installent une r茅flexion sur l'identit茅 et la vie. Oster pr茅cise :

Ce qui retient mon attention, c'est la facult茅 de l'茅v茅nement 脿 engendrer une pens茅e qui fait agir le narrateur : il y a toujours dans mes r茅cits un discours latent sur le rapport entre le narrateur et le monde. Il existe un intime de la surface, conditionn茅 par ce que vit le narrateur, concentr茅 sur un 茅v茅nement pr茅cis : l脿 encore c'est autobiographique. Pourtant, je ne fais pas d'introspection; je n'ai pas d'imposants souvenirs familiaux. L'芒ge adulte m'int茅resse essentiellement, l'homme sans pass茅. Mes personnages sont donc dans le pr茅sent, la synchronicit茅, la r茅alit茅. (Auger, 2006, p. 127)

L'homme sans pass茅, plong茅 dans un rapport direct avec le pr茅sent et l'茅v茅nement, d茅bouche sur l'id茅e int茅ressante du personnage comme une surface de contact (une interface) avec le monde. Penser le personnage selon une intimit茅 de la surface, c'est exposer le personnage aux 茅v茅nements, mais c'est 茅galement fragiliser l'id茅e d'un聽moi聽absolument permanent comme fondement moral des personnages. Avec une certaine hardiesse conceptuelle, mais dans la droite logique de cette repr茅sentation du personnage, c'est la notion m锚me d'identit茅 que l'茅crivain met 脿 mal : 芦 l'identit茅 est un concept auquel je crois pas beaucoup, je crois qu'on existe essentiellement sous le regard des autres 禄 (Oster, 2011). Oster ajoute : 芦 L'identit茅, c'est-脿-dire ce qu'est profond茅ment le personnage, c'est pas tellement le probl猫me. Cela dit, le personnage est travaill茅 par un certain nombre de choses : il est travaill茅 par le temps, par la mort, par l'amour aussi d'une certaine fa莽on, par ce qui habite les hommes de fa莽on g茅n茅rale. 禄 (Ibid.)

Le d茅placement g茅ographique est d'abord provoqu茅 chez Oster par des 茅l茅ments qui rel猫vent de la r茅alit茅 concr猫te, mat茅rielle : un d卯ner, un rendez-vous d'affaires, une visite chez un ami. Or le d茅placement s'effectue 茅galement sur le plan psychologique. 脌 propos du narrateur d'En ville, la plupart du temps ind茅cis et incapable de nommer les sentiments qui l'habitent, Oster dit n茅anmoins :

Il y a une peur qu'il sait d茅finir dans le livre鈥� [l'animatrice encha卯ne : 芦 la peur que la vie s'acc茅l猫re vers la fin 禄] oui, voil脿, cette peur-l脿, elle est analys茅e. Elle m'est propre aussi, je l'ai pas invent茅e, elle est propre 脿 un certain nombre de gens. Je trouve que, quand m锚me, 锚tre en vie c'est formidable, mais c'est aussi absolument extraordinairement 茅trange, de penser qu'il y a ce rideau, ce c么t茅 sombre qui nous accompagne tout le temps et avec lequel on doit, pratiquement quotidiennement, composer. Donc effectivement 莽a lui prend pas mal d'茅nergie, d'affronter ce probl猫me-l脿. Pas que, bien s没r, pas que鈥� bon, il a un travail, il a quelques relations insatisfaisantes, mais il a beaucoup v茅cu, enfin il a suffisamment v茅cu, en tout cas, pour ne pas avoir l'impression de ne pas avoir v茅cu, justement, mais, voil脿, il est en recherche de quelque chose, mais cette recherche n'est pas vraiment exprim茅e. Il avance, il voit le temps passer et il se fuit en m锚me temps, enfin, il fuit ses propres interrogations. (Evin, 2013)

L'intimit茅 de surface ressort enfin 脿 une intention d'茅criture pour Christian Oster, qui avoue ne pas vouloir 芦 trop d茅voiler les personnages. 禄 (Auger, 2006, p.130) 芦 Je pr茅f猫re, affirme-t-il, qu'ils gardent leur myst猫re et donc leur attrait. De plus, je n'aime pas les dialogues, je pr茅f猫re les tronquer. Et puisque r猫gne le plus souvent un climat de tension, les personnages ne se disent pas tout. 禄 (Ibid.) Oster conclut : 芦 Je pense que c'est une propension, quand m锚me chez moi, 脿 essayer d'aller chercher de l'茅tranget茅, comme 莽a instinctivement, qui fait que les personnages sont effectivement, non pas聽borderline鈥� [Kathleen Evin encha卯ne et qualifie les personnages osteriens de 芦 carr茅ment bizarres 禄]. 禄 (Evin, 2015)

Le roman du d茅placement et l'exp茅rience v茅cue.

Le quotidien para卯t se lier in茅vitablement dans les romans de Christian Oster au probl猫me (insoluble) du r茅el. L'auteur affirme : 芦 J'ai besoin, j'ai envie que les situations soient tr猫s visuelles, tr猫s palpables, d'o霉 sans doute mon attention 脿 certains d茅tails, mais qui n'est pas une intention non plus, m锚me si elle l'a 茅t茅 par le pass茅, hyper r茅aliste. [鈥�] 脡肠谤颈谤别 c'est, 茅crire notamment des romans, c'est focaliser sur son objet. 禄 (Evin, 2013) Il ajoute ailleurs que 芦 les r茅f茅rences au r茅el sont absolument n茅cessaires pour ancrer le roman dans un contexte. M锚me si l'on peut prendre quelques libert茅s avec le genre romanesque qui est h茅t茅rog猫ne, un mixte de sens et de sang et une fiction, on doit conserver ce lien avec l'exp茅rience v茅cue. 禄 (Auger, 2006, p. 127) Le quotidien, qui 茅merge 脿 travers l'insertion d'objets banals et de lieux concrets dans le roman, semble alors 锚tre synonyme de r茅alit茅, mais le rabattement d'un terme sur l'autre n'est peut-锚tre pas si naturel, d'autant plus qu'Oster refuse le terme 芦 quotidien 禄 au profit d'une notion qui se rapproche de ce qu'il appelle l'芦 exp茅rience v茅cue 禄 : 芦 Je pars d'une situation qui est 脿 la fois extr锚mement simple (j'entends souvent l'adjectif 鈥渜uotidien鈥� qui fait sourire car le quotidien n'existe absolument pas, il n'y a que la vie) qui est une situation de rencontre amoureuse. Je la d茅veloppe et je l'inscris dans un cadre concret. 禄 (Rabat茅 et Viart, 2009, p. 291) Exp茅rience v茅cue et vie : voil脿 le noeud de l'affaire 鈥� qui n'est pourtant pas plus simple.

Or, si comme le pense Oster, il y a deux types de lecteurs : 芦 ceux qui cherchent 脿 augmenter leur connaissance de la vie, 脿 puiser un savoir; et [鈥�] ceux qui visent le plaisir imm茅diat, la jouissance 禄 (Auger, 2006, p. 130), il se positionne pour sa part dans le second camp : 芦 Je ne cherche pas 脿 apprendre en lisant; les livres que je lis sont ceux qui m'emportent, me d茅stabilisent. 禄 (Ibid.) Ce qu'il nomme, en ce sens, la 芦 situation聽a priori聽禄 de ses romans r茅pond 脿 cette exigence d'锚tre d茅stabilis茅 (bien que pas dans tous ses romans). Une situation hors de l'ordinaire, n茅anmoins trait茅e comme banale lance souvent les romans de l'茅crivain, comme il l'explique lui-m锚me 脿 propos du roman聽Le coeur du probl猫me听:

Au d茅part du roman, il y a une phrase qui indique qu'il y a un cadavre dans le salon lorsque le narrateur rentre chez lui. Et un petit peu plus tard, que sa femme est en train de prendre son bain 脿 l'茅tage, et un petit peu plus tard encore, deux pages plus loin, qu'elle s'en va et qu'elle lui demande de se d茅brouiller avec ce corps, qui se trouve 茅tendu dans le salon. Donc ce que j'appelle partir d'une situation聽a priori聽un peu forte, un peu contrast茅e. (Oster, 2015)

L'humour et l'ironie jouent un r么le similaire (celui de d茅stabiliser le lecteur) chez Oster, m锚me s'il rappelle, citant Raymond Queneau, qu'芦 il faut se m茅fier de l'humour 禄 (Evin, 2013), et qu'il attribue l'茅mergence de l'humour dans ses livres aux hasards de l'茅criture : 芦 moi j'茅cris pas pour faire rire a priori, j'茅cris pas des romans du genre comique, mais de temps en temps, et m锚me assez souvent, quelque chose se profile dans l'茅criture qui fait que soi pour des raisons de burlesque ou de pens茅e de soliloque, on sent pointer quelque chose de l'ordre de l'humour, de la dr么lerie, etc. 禄 (Ibid.) Il pr茅cise que si ces passages plut么t humoristiques ne d茅tonent pas, il les conserve, mais toujours avec la m锚me prudence qu'on lui conna卯t : 芦 Les passages qui sont un peu distants ou d茅cal茅s ou burlesques ne sont pas des passages pr茅m茅dit茅s, c'est parce qu'脿 un moment donn茅, les propos se pr锚tent 脿 莽a. 禄 (Rabat茅 et Viart, 2009, p. 291)

Ce qu'Oster appelle l'exp茅rience v茅cue semble correspondre aux sentiments d'锚tre d茅cal茅, troubl茅 et d茅stabilis茅, sentiments qui habitent la plupart de ses livres et qui font que le monde cloche insensiblement, qu'il para卯t pour cela difficilement habitable. Si parfois c'est l'humour qui engendre cet affect, d'autres fois, et 脿 vrai dire le plus souvent, c'est la question du temps qui file et nous rapproche ainsi de la mort. 脌 propos de son roman聽Rouler, Christian Oster formule des propos recoupant en tous points son commentaire sur le film聽Comme un avion聽Bruno Podalyd猫s :

Dans cette histoire, il y a ce probl猫me que moi j'ai toujours abord茅 plus ou moins dans mes romans, qui est que : en fait dans la vie il ne faut pas arriver, parce que quand on arrive 莽a veut dire que c'est fini, et donc c'est la mort. En fait il y a cette notion d'un personnage qui erre, qui se cherche, et qui sait que s'il arrive, peut-锚tre qu'il faudra qu'il se pose d'autres questions, plus insolubles encore que celles qui l'agitent au cours du voyage et donc qui h茅site et qui avance en h茅sitant. (Oster, 2011)

S'il affirme ne pas avoir 芦 de projet particulier 禄 (Oster, 2012) pour ses romans, Oster r茅it猫re tout de m锚me fr茅quemment que 芦 tous [s]es romans parlent du temps et de l'茅coulement du temps, du vieillissement, d'une forme de d茅sillusion aussi [鈥�] 禄 (Ibid.) et qu'il fait donc des romans 芦 sur le temps avec des vues, comme 莽a, ponctuelles sur ce que c'est que 莽a, le ressenti de 莽a, le v茅cu de 莽a 禄 (Ibid.), c'est-脿-dire le temps qui s'茅coule. Le d茅placement (physique et psychologique) des personnages, comme r茅sistance 脿 la mort, occupe le centre de la po茅tique et du discours d'Oster sur le roman. Il affirme sans d茅tour que 芦 le roman est d茅placement dans le temps et l'espace : c'est une caract茅ristique du genre romanesque (voyez les romans de Jean Echenoz). Je n'imagine donc pas un roman sans d茅placement. 禄 (Auger, 2006, p. 129) Comme toujours, un d茅placement mental s'ajoute chez lui au d茅placement g茅ographique, qui sont tous les deux des strat茅gies d'茅criture qui permettent de placer 芦 potentiellement en danger le personnage 禄 (Ibid.). Tout se passe en somme comme s'il concevait le roman comme l'exp茅rience du sentiment d'锚tre d茅plac茅 (jusqu'au d茅placement terminal) et la conjuration de cette crainte latente par le mouvement.

Oster cl么t ainsi sa pens茅e du roman sur une tentative de r茅conciliation de soi avec le monde, qui passe par l'茅criture et qui se joue 脿 la surface de soi et des autres, toujours oblit茅rant la connaissance profonde de l'int茅riorit茅 : 芦 Je n'茅cris donc pas pour mieux me conna卯tre ou conna卯tre les autres, mais pour 锚tre en accord avec le monde. J'茅cris pour pouvoir vivre, simplement. [鈥�] Le monde ne s'approprie que par l'茅criture. 禄 (Ibid. 130)

Bibliographie :

• AUGER, Fran莽oise, 芦 Entretien avec Christian Oster 禄, dans Mura-Brunel, Aline (dir.),听Christian Oster et Cie. Retour du romanesque, Amsterdam 鈥� New York, Rodopi, 2006, p. 125-130.
• EVIN, Kathleen, 芦 Christian Oster 禄,听L'humeur vagabonde, mars 2013, dans聽France Inter, , page consult茅e le 18 novembre 2017.
• EVIN, Kathleen, 芦 L'茅crivain Christian Oster 禄,听L'humeur vagabonde, septembre 2015, dans聽France culture, , page consult茅e le 15 novembre 2017.
• OSTER, Christian, 芦 Christian Oster 鈥撀�Rouler聽禄, dans聽Librairie Mollat, 2011, , page consult茅e le 15 novembre 2017.
• OSTER, Christian, 芦 Christian Oster 鈥撀�En ville聽禄, dans聽Librairie Mollat, 2012, , page consult茅e le 22 novembre 2017.
• OSTER, Christian,听En ville, Paris, l'Olivier, 2013, p. 56.
• OSTER, Christian, 芦 Christian Oster 鈥� Le coeur du probl猫me 禄, dans聽Libraire Mollat, 2015, , page consult茅e le 28 novembre 2017.
• 芦 Rencontre avec Antoine Emaz et Christian Oster, Dominique Rabat茅, Dominique Viart 禄, dans D. Rabat茅 et D. Viart (dir.),听脡critures blanches, Saint-脡tienne, Publication de l'Universit茅 Saint-脡tienne, 2009, p. 285-296.
• 芦 Christian Oster et Bruno Podalyd猫s 脿 propos de 鈥淐omme un avion鈥� 禄, Cin茅-Club du libraire du 4 juillet 2015, dans聽Youtube,听, page consult茅e le 13 novembre 2017.

La plupart des citations incluses dans la bibliographie sont des retranscriptions d'entretiens donn茅s par l'茅crivain Christian Oster. Ces entretiens, pour la majorit茅, sont d'ailleurs assez r茅cents, l'茅crivain semblant ne s'锚tre pr锚t茅 que tard dans sa carri猫re d'茅crivain au jeu m茅diatique. La bibliographie, en plus de cerner de la mani猫re la plus exhaustive possible le discours d'Oster sur sa pratique de romancier, comprend deux br猫ves entrevues sur son travail en litt茅rature de jeunesse avec, notamment, des propos fort pertinents sur le genre du conte.

芦 Christian Oster et Bruno Podalyd猫s 脿 propos de "Comme un avion" 禄, Cin茅-Club du libraire du 4 juillet 2015, dans Youtube, , page consult茅e le 13 novembre 2017.

AUGER, Fran莽oise, 芦 Entretien avec Christian Oster 禄, dans Mura-Brunel, Aline (dir.),听Christian Oster et Cie. Retour du romanesque, Amsterdam - New York, Rodopi, 2006, p. 125-130.

芦 Rencontre avec Antoine Emaz et Christian Oster, Dominique Rabat茅, Dominique Viart 禄, dans D. Rabat茅 et D. Viart (dir.),听脡critures blanches, Saint-脡tienne, Publication de l'Universit茅 Saint-脡tienne, 2009, p. 285-296.

EVIN, Kathlenn, 芦 Christian Oster 禄,听L'humeur vagabonde, mars 2013, dans聽France Inter, , page consult茅e le 18 novembre 2017.

EVIN, Kathleen, 芦 L'茅crivain Christian Oster 禄,听L'humeur vagabonde, septembre 2015, dans聽France culture, , page consult茅e le 15 novembre 2017.

OSTER, CHristian, 芦 Christian Oster - Rouler 禄, dans聽Librairie Mollat, 2011, , page consult茅e le 15 novembre 2017.

OSTER, Christian, 芦 Christian Oster - Le coeur du probl猫me 禄, dans聽Libraire Mollat, 2015, , page consult茅e le 28 novembre 2017.

OSTER, Christian, 芦 Christian Oster - En ville 禄, dans聽Librairie Mollat, 2012, , page consult茅e le 22 novembre 2017.

OSTER, Christian, 芦 Christian Oster - La vie automatique聽禄, dans聽Librairie Mollat, 2017, , page consult茅e le 15 novembre 2017.

OSTER, Christian, 芦 Christian Oster, auteur du roman聽Le chevalier qui cherchait ses chaussettes聽禄,听L'茅cole des loisirs, dans聽Youtube, , page consult茅e le 17 novembre 2017.

OSTER, Christian, 芦 Christian Oster auteur du roman聽L'invitation faite au loup聽禄,听L'茅cole des loisirs,听诲补苍蝉听Youtube, , page consult茅e le 22 novembre 2017.

Ce dont je me sens proche, c'est cette po茅sie et, j'aime pas du tout ce mot-l脿, mais, pas du quotidien, mais cette aventure minimale qui, en m锚me temps, est tr猫s forte en 茅motion. Ici, dans ce film, aussi beaucoup en joie (quelque chose que j'ignore aussi un petit peu dans mes livres). Je trouve qu'il y a une m茅lancolie dans le film, mais c'est quelque chose de tr猫s, tr猫s revigorant et d'optimiste. Et donc ces aventures qui sont tr猫s, a priori, qui se passent dans un espace extr锚mement r茅duit, c'est 莽a qui est fascinant et qui en m锚me temps, moi personnellement, comme spectateur m'emporte. Et c'est ce que j'essaie aussi de faire dans mes romans, de pas aller trop loin, mais de faire en sorte que鈥� il appara卯t des choses, il surgisse des choses : l'茅motion et tout 莽a.

Moi la premi猫re fois que je l'ai vu [Comme un avion de Podalyd猫s], je n'ai pas vu la fin - parce qu'on m'a enlev茅 avant la fin. Mais il m'a sembl茅 la premi猫re fois que je l'ai vu, que c'est une fin qui n'en est pas une, que les personnages de donc, Sandrine Kiberlain et Denis Podalyd猫s, qui arrivent, ils apparaissent sur la rive, enfin viennent 脿 la rencontre, alors je ne sais pas si c'est la g茅olocalisation ou si c'est simplement parce que lui, finalement - moi je l'ai lu comme 莽a -, il rentre pas. Et qu'en fait son voyage ne s'ach猫ve pas. Il s'interrompt dans une esp猫ce d'apoth茅ose et de synth猫se de tout. J'ai sans arr锚t ce th猫me qui est pr茅sent pour moi qui est que [鈥�], c'est qu'en fait, il est hors de question d'atteindre quoi que ce soit. Si on atteint quelque chose, c'est fini, c'est mort, et c'est la mort.

Quels sont les romanciers qui ont jou茅 un r么le d茅cisif dans votre d茅sir d'茅crire, qui vous ont influenc茅?聽p. 125

Plusieurs romanciers m'ont donn茅 envie d'茅crire, mais Raymond Queneau avec聽Le Chiendent聽a 茅t茅 d茅clencheur. J'ai eu l'impression qu'il suffisait qu'on me passe la plume : c'est ce que dit Christian Gailly 脿 propos de Beckett. D'autres auteurs m'ont 茅galement influenc茅. La lecture a toujours 茅t茅 pour moi une incitation 脿 茅crire. P. 125

Quels sont ceux qui ont influenc茅 votre mani猫re d'茅crire?聽p. 125

Les polars ont influenc茅 ma mani猫re d'茅crire. Jean-Patrick Manchette est un grand styliste, un grand constructeur d'histoires, notamment, dans聽La position du tireur couch茅. La lecture de聽Cherokee聽a 茅t茅 un grand choc pour moi. J'ai d茅couvert que l'on pouvait 茅crire autrement : cette pr茅cision extr锚me constituait une nouveaut茅 脿 mes yeux. p. 125

Comment vous situez-vous par rapport au Nouveau Roman? Pensez-vous que votre oeuvre romanesque s'茅carte des r猫gles du Nouveau Roman?聽p. 125

J'ai lu Robe-Grillet lorsque j'茅tais au lyc茅e, mais je l'ai vraiment d茅couvert apr猫s avoir publi茅 mes propres textes. J'ai relu聽Le Voyeur听: j'ai eu une impression de grande familiarit茅 avec ce livre. Je me suis aussi int茅ress茅 脿 Robert Pinget, 脿 Claude Simon. Becket m'a 茅galement marqu茅 :聽En attendant Godot聽bien s没r, mais surtout le roman聽Molloy. p. 125

Certains de vos personnages peuvent-ils s'apparenter 脿 Molloy?聽p. 125

La notion de n茅ant est vide. Il n'y a pas de probl茅matique du vide chez moi, mais du manque, c'est diff茅rent. Il existe un manque affectif essentiellement. Mais je ne traite pas de la question du vide ontologique. J'essaie de vaincre le poncif par le style, j'茅cris pourtant des romans sentimentaux! p. 125

Passons 脿 vos contemporains. Pensez-vous qu'il existe une 茅cole de Minuit? Quelles en seraient les sp茅cificit茅s?聽p. 126

Il n'existe pas de sp茅cificit茅 Minuit. On distingue cependant la notion d'impassibilit茅, on parle des 芦 auteurs impassibles 禄 depuis J茅r么me Lindon (Echenoz, Toussaint, Deville et moi). Mais il y a aussi une rel猫ve avec des auteurs compl猫tement diff茅rents comme Fran莽ois Bon, H茅l猫ne Lenoir, Marie Ndiaye. De toute fa莽on, 茅crire c'est rechercher une forme comme en peinture. p. 126

Comment vous situez-vous par rapport au minimalisme? Cette 茅tiquette convient-elle 脿 votre oeuvre?聽p. 126

C'est une expression proche de l'茅conomie des moyens. J'ai besoin d'un roman nouveau chaque ann茅e : c'est un rythme n茅cessaire. Je supporterais mal d'茅crire un livre sur trois ans. Il me faut donc des sujets pouvant 锚tre trait茅s rapidement : des histoires courtes, peu de personnages, le r茅cit d'une rencontre d'amoureux. Toutefois, je n'aime pas la notion de minimalisme. Jean-Philippe Toussaint serait peut-锚tre le seul 脿 illustrer ce courant esth茅tique. 脌 propos d'Echenoz ou d'脡ric Laurrent [sic], je parlerai plut么t d'anti-minimalisme car ils cultivent le jeu sur la langue et les points de vue d茅ployant des moyens 茅normes qui exigent une grande inventivit茅. p. 126

Votre oeuvre romanesque suit-elle un fil directeur? Constatez-vous une progression dans votre parcours et acceptez-vous l'hypoth猫se selon laquelle vos romans passeraient d'une neutralit茅 presque ostentatoire 脿 une plus grande 茅motivit茅 des narrateurs?聽p. 126

Je suis moi-m锚me t茅moin de cette 茅volution. Dans聽L'Aventure,听Le Pont d'Arcueil,听Paul au t茅l茅phone, l'oeuvre est ferm茅e, verrouill茅e, tir茅e au cordeau; il n'y a pas de dialogues, on ne voit pas les histoires. Ce sont trois livres complexes, denses, ramifi茅s, avec des syst猫mes d'茅cho 茅tudi茅s, des effets de langue. Puis j'ai souhait茅 un changement vers la lisibilit茅 de l'anecdote.
Le Pont d'Arcueil听别迟听Paul au t茅l茅phone聽racontent la m锚me histoire que d'autres livres. Ces deux livres sont construits en miroir. Dans聽Le Pont d'Arcueil, l'homme croit faire le deuil de la femme en all茅e. Or, ce n'est pas le cas. C'est un r茅cit 茅maill茅 de micro-茅v茅nements 脿 connotation tragique. La douleur est refoul茅e, il y a suspens du deuil amoureux. Dans聽Paul au t茅l茅phone, le narrateur pense le deuil amoureux impossible. Il croit qu'il ne peut pas oublier la femme qui l'a aim茅. Puis il s'茅mancipe et oublie cette femme. p. 126

Pourquoi privil茅gier le th猫me de l'amour, ce poncif de la litt茅rature? Pensez-vous que l'amour soit l'ultime valeur, celle qui r茅siste aux corruptions de l'argent et de l'int茅r锚t?聽p. 126

Je pr茅f猫re traiter d'un sujet que je connais un petit peu. Oui l'amour est une valeur pour moi. Et l'amour pr茅occupe tout le monde ou presque. 芦 Il faut gratter les poncifs! 禄 disait Cocteau. Les poncifs sont des figures de langage qui recouvrent les 茅l茅ments fondamentaux pour l'锚tre humain. J'ai de l'int茅r锚t pour ce qui nous est commun 脿 tous. p. 127

On remarque d'autre part dans vos romans une certaine coh茅rence 茅nonciative embl茅matis茅e par la mise en sc猫ne de narrateurs masculins 茅minemment disponibles au r茅el qui les entoure. Doit-on concevoir cette repr茅sentation de personnages 芦 vides 禄 comme la volont茅 de lib茅rer l'espace textuel dans la traditionnelle psychologie des personnages? Qu'est-ce que cette occultation de la psychologie des personnages, de leur pass茅 et des descriptions apporte 脿 votre oeuvre? La repr茅sentation d'individus creux, au lien social plut么t l芒che participe-t-elle, selon vous, d'une tentative d'茅puration de l'茅criture afin de caler la narration au plus pr猫s de l'exp茅rience v茅cue et, par l脿 m锚me, d'accorder une libert茅 maximale aux r茅actions des personnages en situation?聽p. 127

Cela n'est en aucun cas concert茅. Mes personnages sont habit茅s par le manque; ils se heurtent dans le monde aux difficult茅s multiples qu'ils rencontrent. Les situations romanesques que j'invente sont d'ailleurs partiellement autobiographiques. Pour ma part, j'ai fait des petits boulots, je n'ai pas eu d'insertion sociale r茅elle. Ma seule identit茅, c'est celle de l'茅crivain. Mes personnages me ressemblent de ce point de vue : leurs professions ne m'int茅ressent pas. Je pr茅f猫re tout cristalliser autour de leur vie intime. Ils sont 茅galement confront茅s au concret : une cabine d'habillage dans une piscine, les dialogues qu'on y entend鈥�
Les r茅f茅rences au r茅el sont absolument n茅cessaires pour ancrer le roman dans un contexte. M锚me si l'on peut prendre quelques libert茅s avec le genre romanesque qui est h茅t茅rog猫ne, un mixte de sens et de sang et une fiction, on doit conserver ce lien avec l'exp茅rience v茅cue.
Si je place un personnage dans une situation donn茅e, je fais l'茅conomie du r茅cit de son pass茅, mentionnant seulement qu'il vient d'锚tre quitt茅 : le deuil amoureux est d'ailleurs un sujet r茅current dans mes textes car je ne suis pas hostile 脿 la variation infinie sur le m锚me th猫me. Mon parti pris esth茅tique est de m锚ler la pr茅cision des d茅tails 脿 la distance, l'humour, la fantaisie. Cela dit, j'茅pure dans mes romans les plus r茅cents les d茅tails et le factuel. Ce qui retient mon attention, c'est la facult茅 de l'茅v茅nement 脿 engendrer une pens茅e qui fait agir le narrateur : il y a toujours dans mes r茅cits un discours latent sur le rapport entre le narrateur et le monde. Il existe un intime de la surface, conditionn茅 par ce que vit le narrateur, concentr茅 sur un 茅v茅nement pr茅cis : l脿 encore c'est autobiographique. Pourtant, je ne fais pas d'introspection; je n'ai pas d'imposants souvenirs familiaux. L'芒ge adulte m'int茅resse essentiellement, l'homme sans pass茅. Mes personnages sont donc dans le pr茅sent, la synchronicit茅, la r茅alit茅. p. 127

脌 ce titre, le travail formel devient primordial dans votre oeuvre qui refuse d'assigner un sens univoque aux micro-茅v茅nements et aux sous-conversations en mettant en place une po茅tique de l'ind茅cision sensible dans l'usage multiple des figures de correction : quels sont les effets recherch茅s par la cr茅ation de ce que l'on pourrait appeler une po茅tique de l'ind茅cision ou de l'h茅sitation? Voulez-vous ainsi montrer, dans et par la fiction, les incertitudes et l'instabilit茅 consubstantielles au sujet contemporain?聽p. 128

Ma seule volont茅 est de laisser de la distance et dans le m锚me temps de parler de l'intime. Je n'ai aucunement l'ambition de parler du sujet contemporain. Je ne veux rien montrer et encore moins d茅montrer. p. 128

Comment interpr茅ter le r么le de l'humour dans vos romans? Sert-il 脿 茅tablir une complicit茅 (d'ailleurs probl茅matique) entre le narrateur et le lecteur? Est-ce une forme d'auto-ironie ou bien permet-il de d茅samorcer le path茅tique susceptible d'affleurer dans certaines situations auxquelles sont confront茅s vos personnages?聽p. 128

J'utilise en effet la corde du burlesque et souvent l'humour permet de contrebalancer le path茅tique. Mais rien n'est concert茅 : tant么t les deux tonalit茅s sont m锚l茅es, tant么t elles alternent. p. 128

Faut-il d茅samorcer tout ce qui pourrait 锚tre s茅rieux?聽p. 128

Oui. Par exemple, l'imparfait du subjonctif a un caract猫re incongru. Or je peux pas m'en d茅faire. Je risque alors de 芦 casser l'effet 禄 dramatique. Ce qui pose la question de savoir 脿 quel moment on peut jouer avec la distance pour accentuer l'efficacit茅 du texte. p. 128

Passons 脿 la temporalit茅. Comment peut-on interpr茅ter la dur茅e tr猫s courte de vos romans? S'agit-il de montrer l'unicit茅 de l'exp茅rience? Ou bien le caract猫re d茅muni du personnage face 脿 une situation donn茅e?聽p. 128

C'est le d茅sir d'aborder la situation du personnage dans des conditions et une temporalit茅 restreintes. Il s'agit de circonscrire pour mieux observer. p. 128

Cette r茅duction de la dur茅e de vos r茅cits vient-elle t茅moigner de l'impossibilit茅 pour le roman contemporain de montrer une vie humaine dans son int茅gralit茅 comme le tendait 脿 le faire le roman du XIXe si猫cle?聽p. 128

Certains romanciers en effet ont essay茅 de montrer la complexit茅 de la vie humaine. Je ne pense pas que ce soit plus difficile aujourd'hui de restituer le vie [sic]. Il y a des romans / d'茅ducation, des romans sur le monde;聽Paul au t茅l茅phone聽est un roman sur le temps. p. 128-129

Tous vos romans, hormis le premier, mettent en sc猫ne des personnages sinon en voyage du moins en d茅placement? Que signifie pour l'茅conomie de vos romans le fait de faire se d茅placer vos personnages dans l'espace? La mobilit茅 des personnages peut-elle se comprendre comme r茅v茅latrice de la dynamique mentale qui les anime? En d'autres termes, les d茅placements dans l'espace, en raison de la variation perp茅tuelle des points de vue qu'ils impliquent, sont-ils symptomatiques de l'ind茅cision des personnages?聽p. 129

Il n'existe pas de symbolique du d茅placement. Mais le roman est d茅placement dans le temps et l'espace : c'est une caract茅ristique du genre romanesque (voyez les romans de Jean Echenoz). Je n'imagine donc pas un roman sans d茅placement. Je n'aime pas les huis clos. Cependant,听Dans le train聽est presque un huis clos car les deux personnages ne sont gu猫re relay茅s par une tierce personne.
En multipliant les points de vue, la mobilit茅 g茅ographique peut renvoyer 脿 la dynamique mentale des personnages. Le d茅placement favorise l'茅mergence de l'aventure, il est aventure, il met potentiellement en danger le personnage. p. 129

On remarque des ruptures dans votre oeuvre 脿 partir d'Une femme de m茅nage. On a l'impression que vous vous autorisez 脿 revenir 脿 une forme d'茅criture plus proche du romanesque traditionnel; l'intrigue du roman se complexifie, vous introduisez dans le roman des personnages secondaires, des ressorts typiquement romanesques (tel que le personnage de Ralph qui ajoute, par sa fonction ambivalente, une touche presque vaudevillesque ou encore certains motifs du quotidien comme l'aspirateur ou les cheveux dess茅ch茅s de Laura), des descriptions, qui, sans 锚tre ordinaires, apparaissent moins 芦 茅tranges 禄 que dans certains de vos romans pr茅c茅dents. En somme, on sent un changement mat茅rialis茅 par la mise en place d'une histoire simple, attachante, 茅mouvante aussi.聽p. 129

C'est vrai que j'ai introduit des personnages secondaires de fa莽on plus marqu茅e 脿 partir d'Une femme de m茅nage听: Ralph est n茅 parce que, dans l'茅conomie de la narration, il me fallait une tierce personne. Il y avait pourtant de nombreux personnages secondaires dans mes r茅cits pr茅c茅dents, dans聽Mon Grand Appartement聽par exemple. Quant aux motifs du quotidien ils produisent leur effet. Ainsi la d茅couverte de l'alliance par Laura joue son r么le : alors que nous sommes dans une phase euphorique ascendante 脿 l'int茅rieur du couple, la bague retrouv茅e assombrit la relation, modifie les enjeux, cr茅e un arri猫re-plan. J'avais h茅sit茅 脿 laisser cet 茅pisode et je l'ai conserv茅 pour ces raisons : on a parfois l'impression lorsque l'on 茅crit que l'on atteint 脿 un moment donn茅 un point d'茅quilibre. p. 129

Par ailleurs, on voit le narrateur en couple dans聽Une femme de m茅nage聽ainsi que dans聽Le Train. N'est-ce pas une rupture, une nouveaut茅?聽p. 130

Du point de vue de la cr茅ation litt茅raire, cela me permet d'aborder une relation un peu plus affirm茅e entre un homme et une femme : ils risquent d'avoir des choses 脿 se dire! p. 130

Pourtant, vos personnages se parlent peu : est-ce une difficult茅 d'茅crire ou un choix?聽p. 130

Les deux. Je ne veux pas trop d茅voiler les personnages : je pr茅f猫re qu'ils gardent leur myst猫re et donc leur attrait. De plus, je n'aime pas les dialogues, je pr茅f猫re les tronquer. Et puisque r猫gne le plus souvent un climat de tension, les personnages ne se disent pas tout. p. 130

La fiction est-elle pour vous un moyen pour acc茅der 脿 la vie int茅rieure d'autrui, de soi-m锚me?聽p. 130

Non. Il y a deux types de lecteurs : ceux qui cherchent 脿 augmenter leur connaissance de la vie, 脿 puiser un savoir; et il y a ceux qui visent le plaisir imm茅diat, la jouissance. Pour ma part, je ne cherche pas 脿 apprendre en lisant; les livres que je lis sont ceux qui m'emportent, me d茅stabilisent. Je n'茅cris donc pas pour mieux me conna卯tre ou conna卯tre les autres, mais pour 锚tre en accord avec le monde. J'茅cris pour pouvoir vivre, simplement. Je pense 脿 une interview de Christian Gailly o霉 il essayait de d茅crire un portail et soudain il s'茅crie : 芦 non, je ne peux pas! Je ne le vois pas! 禄 Le monde ne s'approprie que par l'茅criture. p. 130

R茅pondant ensuite aux questions du public, Christian Oster affirme qu'il recourt aux codes romanesques ant茅rieurs, mais en les d茅tournant et les transformant. Il insiste sur l'exigence d'invention qui pr茅side 脿 l'acte d'茅crire.聽p. 130

Dominique Viart :聽Ce sont, on vient de l'entendre, deux 茅critures 茅minemment diff茅rentes. Aussi un effet de scandale peut-il saisir la pens茅e quand on les rassemble sous l'茅tiquette peut-锚tre hasardeuse 芦 d'茅criture blanche 禄. Que signifie pour vous cette expression d'茅criture blanche? Est-ce qu'elle fait sens pour vous qui ne la revendiquez explicitement ni l'un, ni l'autre? Et si oui, quel sens cela a-t-il par rapport 脿 votre propre travail?聽p. 288

Christian Oster : Je crois que derri猫re cette id茅e de blancheur, il y a autre chose qu'on essaie d'exprimer. C'est sans doute une volont茅 d'茅vacuer un certain nombre de vieilleries stylistiques, litt茅raires au nom d'une forme de modernit茅. Je pense que c'est ce qu'on vise 脿 atteindre. Il faudrait plut么t parler d'un effet de blancheur et d'une blancheur qui serait pleine de quelque chose d'autre que ce blanc. C'est comme si on demandait en parlant de blancheur au lecteur qui se confronterait 脿 une 茅criture blanche d'锚tre double et de sentir 脿 la fois la volont茅 d'茅vacuer le lyrisme, le pathos ou je ne sais quoi, et la pseudo-matit茅 qui serait le reste de cette / tentative. Quand on parle de blancheur, on parle d茅j脿 de duplicit茅 donc d'une attitude litt茅raire qui s'inscrit en contraste par rapport 脿 une tradition. Dans ce sens-l脿, je crois qu'on peut peut-锚tre en parler. En m锚me temps, pour moi, 脿 aucun moment, je ne peux m'identifier 脿 la notion de 芦 plat 禄 qui a 茅t茅 茅voqu茅e, de neutralit茅, sauf 脿 utiliser la neutralit茅 comme effet ponctuel dans un ensemble narratif, bien entendu par diff茅renciation. Je crois qu'au contraire tout ce que je m'efforce de faire et tout ce que, me semble-t-il, la plupart des 茅crivains s'efforcent de faire, c'est de faire un acte litt茅raire, de cr茅er quelque chose et non pas de s'absenter. p. 288-289

Dominique Viart :聽On sent bien que vous [Antoine Emaz] avez envie de tenir le sujet tr猫s pr茅sent dans le texte mais pr茅sent sous une forme un peu 茅loign茅e, un peu distante, impersonnelle et hors de tout lyrisme. Est-ce que selon vous, Christian Oster, cette fa莽on de parler du sujet avec une certaine distance, on pourrait l'appeler impassibilit茅? Est-ce que cela aurait 脿 voir avec ce que J茅r么me Lindon a appel茅, dans un encart publicitaire des 茅ditions de Minuit, le roman 芦 impassible 禄? Si je me souviens bien de cette publicit茅 de 1989, votre premier roman y 茅tait affich茅. Est-ce que cela est encore pertinent, aujourd'hui, dans le trajet actuel de votre oeuvre?

Christian Oster : Oui, cette notion d'impassibilit茅 a du sens, mais c'est tr猫s limitatif. Il s'agissait de faire passer l'id茅e qu'en fait l'affect 茅tait pr茅sent, mais absolument impalpable, invisible sous le travail de la langue, de la distance, de l'humour. C'est un adjectif qui collait assez bien aux auteurs concern茅s et 脿 ce qu'ils publiaient 脿 l'茅poque mais c'est une notion qui, appliqu茅e 脿 ces auteurs-l脿 et 脿 d'autres, a pris du plomb dans l'aile. Je crois que je ne suis pas le seul 脿 avoir 茅volu茅 vers la volont茅 de faire 茅merger l'affect c'est-脿-dire de faire en sorte que le travail de la langue n'enfouisse pas ni l'affect ni, pour ce qui me concerne, le propos narratif auquel je suis tr猫s attach茅. Mais l'impassibilit茅, c'est au d茅part une esp猫ce de pente naturelle, de r茅action de d茅fense par rapport 脿 un choix esth茅tique, une / pudeur qui consiste 脿 se m茅fier du genre romanesque et 脿 le d茅signer comme tel. Cette notion d'impassibilit茅 vient de l脿. C'est un r茅flexe natif mais je le combats. Comme il est tr猫s solide, comme cet aspect d茅fensif chez moi est tr猫s solide, et chez les autres c'est parfois pire, je peux m'atteler 脿 le combattre pour essayer de faire surgir l'affect. Ce qui est bien, c'est que quand j'ai l'impression d'avoir r茅ussi 脿 mettre mes tripes sur la table, les gens me disent 芦 Ah, ah, qu'est-ce que c'est dr么le! 禄. Donc je me dis que finalement 莽a marche bien : en luttant contre moi-m锚me, j'arrive 脿 obtenir l'effet que je souhaite. Je ne tiens pas sp茅cialement 脿 faire sourire, ce n'est pas le but de l'op茅ration. Les passages qui sont un peu distants ou d茅cal茅s ou burlesques ne sont pas des passages pr茅m茅dit茅s, c'est parce qu'脿 un moment donn茅, les propos se pr锚tent 脿 莽a. Mais c'est vrai que cet aspect d茅fensif est une base qui resurgit de temps en temps. p. 290-291

Dominique Viart :聽Il est vrai que l'affect est assez distanci茅 脿 chaque fois. Il m'est apparu comme une sorte d'茅cho de ce qu'on appelait autrefois le 芦 roman 脿 la fran莽aise 禄. Marguerite Yourcenar utilisait cette expression pour d茅signer le roman d'analyse. Dans vos romans, l'analyse fonctionne de fa莽on assez 茅labor茅e, mais sur tel d茅tail de la vie compl猫tement anodin, alors que le roman d'analyse traditionnel s'int茅ressait plut么t aux passions et aux choses obscures de l'芒me. Voulez-vous en faire une parodie?聽p. 291

Christian Oster : Il n'y a pas de volont茅 de parodie par rapport 脿 un genre. Je pars d'une situation qui est 脿 la fois extr锚mement simple (j'entends souvent l'adjectif 芦 quotidien 禄 qui fait sourire car le quotidien n'existe absolument pas, il n'y a que la vie) qui est une situation de rencontre amoureuse. Je la d茅veloppe et je l'inscris dans un cadre concret. 脡videmment, quand je suis dans un cadre concret, j'ai tendance 脿 ne pas l'abandonner. Mais avant c'茅tait bien pur, je ne l芒chais plus du tout de sorte qu'on ne voyait m锚me plus de quoi il s'agissait. Maintenant j'essaie de le garder comme base et apparemment il en reste encore puisque qu'on me renvoie encore que c'est concret, que c'est quotidien, que c'est petit, que c'est minimaliste. Mon propos c'est de raconter une histoire : j'茅cris des romans sentimentaux. p. 291

Dominique Viart :聽Souvent l'茅lan de l'茅criture proc猫de 脿 partir de quelque chose qui est de l'ordre du pur constat, une sorte de point de d茅part, que la femme se nourrisse par exemple鈥� Jouez-vous de constats qui servent de pr茅texte et permettent ensuite 脿 l'茅criture de se d茅ployer?聽p. 291

Christian Oster : Je ne sais pas comment 莽a se produit, c'est vraiment le mouvement de l'茅criture. J'茅cris des plans, je planifie ces histoires parce que j'ai peur de me planter mais cet 茅lan, c'est comme 莽a, il est l脿. C'est vous qui reconstituez apr猫s les choses, c'est vous qui devriez r茅pondre 脿 ma place. Moi, je ne sais pas. Mais je ne dis pas du tout qu'il y a une alchimie myst茅rieuse. p. 292

Dominique Viart :听顿补苍蝉听Boue, par exemple, vous 茅voquez une figure d'homme en 茅tat de d茅r茅liction, d'affection, de vieillissement et m锚me d'agonie, mais sans jamais entrer dans le pathos. Vous dites sa fatigue par le truchement d'un tabouret de cuisine, des objets quotidiens. Peut-on consid茅rer que les objets se substituent aux affects, que vous retenez, l'un et l'autre, car dans vos romans, Christian Oster, il y a aussi beaucoup d'objets qui circulent?聽p. 292

Christian Oster : Quand on 茅crit des livres, il y a quand m锚me un moment avant o霉 on ne sait pas et il y a un apprentissage. Quel est le premier obstacle, notam/ment pour quelqu'un qui veut raconter des histoires (ce qui n'茅tait pas du tout mon cas d'ailleurs, je ne voulais pas raconter des histoires, je voulais jouer avec le roman au d茅part, je voulais juste 莽a)? Le premier obstacle, c'est le galimatias, c'est l'abstraction, c'est le confusionnisme. La premi猫re difficult茅, c'est comment faire advenir le concret. J'ai donc 茅norm茅ment travaill茅 contre moi-m锚me et je suis pass茅 de textes totalement abstraits, psychologisants, d茅rapants, 脿 des choses 芦 robbe-grilletiennes 禄, contre nature pour moi. C'est la trace. Il faut comme le disait Antoine Emaz, un substrat, il faut un sol, il faut absolument des rep猫res, il faut des lieux, il faut des formes. C'est bien les objets. J'aime bien utiliser des choses que tout le monde conna卯t. C'est plus int茅ressant un tabouret, voir ce qu'on peut faire avec lui que cet objet tr猫s bizarre d'un jeu o霉 il fallait deviner ce que c'茅tait, dont on ne comprenait pas le d茅tail photographi茅 en tr猫s gros plan et qui 茅tait par exemple un objet tr猫s compliqu茅 脿 l'int茅rieur d'un r茅acteur nucl茅aire. Je trouve moi, int茅ressant de parler effectivement de 莽a鈥� de 莽a鈥� de 莽a鈥� (NDLR : il montre des objets sur la table). On est dans le monde de l'objet, mais aussi sur le m锚me plan parce que tout 莽a avance ensemble, de l'amour, de la rencontre, de la solitude, de la souffrance鈥� p. 292-293

Dominique Rabat茅 :聽Il y a donc une mise 脿 distance de l'affect, et je crois que cela vous [Antoine Emaz et Christian Oster] pouvez le revendiquer en commun malgr茅 vos diff茅rences. Je voulais poser une question un peu plus pr茅cise sur le travail d'茅criture. Il me semble quand m锚me qu'il y a du c么t茅 de ce que l'on appellera provisoirement / 芦 茅criture blanche 禄, sous r茅serve d'une meilleure expression, un refus de la m茅taphore. Est-ce que vous accepteriez de dire les choses comme 莽a? Je pensais au d茅but de聽Loin d'Odile聽o霉 vous 茅crivez : 芦 ce n'est pas une m茅taphore 禄. Une question adjacente 脿 cela : est-ce que la mouche d'Odile a quelque chose 脿 voir avec Marguerite Duras dans聽脡肠谤颈谤别聽ou est-ce une id茅e loufoque du lecteur? Il y aurait donc ce refus de la m茅taphore dans聽Loin d'Odile聽et il me semble dans votre travail, Antoine Emaz, une sorte de refus aussi, 脿 la Reverdy, un refus de l'image. Tout 脿 l'heure en discutant vous disiez : 芦 Moi, je saute par-dessus tout le surr茅alisme 禄. Est-ce que 莽a vous para卯t un point important dans le d茅but de votre pratique d'茅crivain, une chose qui s'est impos茅e ou dont vous avez d茅cid茅 apr猫s r茅flexion?聽p. 293-294

Christian Oster : J'ai quelque chose 脿 r茅pondre l脿. Tr猫s pr茅cis茅ment, dans mon premier roman qui s'appelle聽Volley-Ball, il y a un refus conscient, d茅lib茅r茅 et constant de la m茅taphore c'est-脿-dire que dans聽Volley-Ball聽il n'y a aucune m茅taphore. C'茅tait voulu, c'茅tait recherch茅. Ensuite, le travail, c'est autre chose, c'est une esp猫ce de r茅flexe qui consiste 脿 茅crire, 脿 茅viter les obstacles, les interdits qu'on se donne mais de fa莽on beaucoup plus flottante c'est-脿-dire que la m茅taphore est revenue. Avant c'茅tait la non-m茅taphore d茅lib茅r茅e, mais elle est revenue de fa莽on non d茅lib茅r茅e aussi, par accident, ce qui veut dire que maintenant je ne refuse rien. Je ne refuse pas la m茅taphore, je ne refuse pas la non-m茅taphore, je ne refuse rien, j'茅cris ce qui me vient, c'est tout. C'est aussi pour marquer cette 茅volution. p. 294

Dominique Rabat茅 :聽Et la mouche?聽p. 294

Christian Oster : Ah la mouche! La mouche est plus due鈥� je ne sais pas 脿 qui鈥� Apr猫s je me suis aper莽u qu'Echenoz avait aussi parl茅 des mouches dans聽Lac聽et je me suis dit qu'on allait encore dire que je lui avais piqu茅 un truc鈥� La mouche, ce n'est pas Duras en tout cas鈥� C'est une exp茅rience tr猫s personnelle, tr猫s autobiographique. p. 294

Antoine Emaz : Oui, je maintiens tout 脿 fait ce qui a 茅t茅 dit sur 芦 sauter par-dessus le surr茅alisme 禄. Je suis tout 脿 fait d'accord aussi avec ce qui a 茅t茅 dit sur Reverdy et le refus de l'image. Andr茅 du Bouchet parlait chez Reverdy d'芦 images invisibles 禄. Reverdy a 茅t茅 le premier th茅oricien de l'image, on le sait, mais ce qu'admirait du Bouchet chez lui, c'茅tait l'invisibilit茅 de l'image, le fait qu'on ne la voie presque pas, qu'on ne la reconnaisse pas, qu'on ne la voie pas passer. Elle fait presque partie de la normalit茅. Il y a ces images invisibles chez moi. Par exemple, un des premiers po猫mes publi茅s que j'ai 茅crits s'appelait聽Mur paroi聽et on pourrait tout 脿 fait dire que tout ce long po猫me travaillait en fait l'obstacle, qu'il 茅tait en quelque sorte une m茅taphore des diff茅rents obstacles pour avancer. On pourrait dire 莽a mais quand on lit聽Mur paroi, on ne voit pas l'image, elle para卯t naturelle. Il y a un mur, oui, comme ici nous sommes entre quatre murs. Vous voyez ce que je veux dire? Ce que je n'aime pas, c'est quand l'image clinque et c'est en ce sens-l脿 que je n'aime pas l'image surr茅aliste ni le 芦 stup茅fiant image 禄. p. 295

Christian Oster : Ce que vous dites sur la m茅taphore, c'est valable pour tout le travail litt茅raire.聽p. 295

Antoine Emaz : Oui, c'est notre mat茅riau. p. 295

Christian Oster : L'id茅e c'est que 莽a soit mais que 莽a ne se voie pas trop. Enfin, que 莽a se sente鈥� p. 296

Antoine Emaz : Oui, c'est 莽a. p. 296

Christian Oster : C'est ce qui diff茅rencierait nos 茅critures de ce qu'on appellerait une 茅criture blanche, strictement blanche. p. 296

脌 l'occasion de la parution du roman de Christian Oster聽En ville, 2013

Kathleen Evin : On vient d'entendre la description du paysage dans lequel vous faites 茅voluer votre narrateur, Jean, pr茅nom qui revient d'ailleurs assez souvent dans vos livres, et c'est 茅trange de choisir un personnage qui ne sait pas vraiment de quoi il a envie, pas plus qu'il ne sait vraiment de quoi il n'a pas envie.

Christian Oster : C'est un personnage que鈥� jusqu'脿 pr茅sent je connaissais bien mon narrateur. Depuis quelques ann茅es je le connais de moins en moins bien, donc je pars plut么t 脿 sa d茅couverte. Il ne fait plus comme dans les livres pr茅c茅dents de rencontres amoureuses frontales, et bien que le manque affectif peut entrer dans sa probl茅matique. Et donc je sais seulement que c'est un homme vieillissant, voil脿, qui a eu plusieurs vies comme je le dis dans le livre, qui est plut么t solitaire et 脿 qui, 茅videmment (sinon il y aurait pas d'histoire), il manque quelque chose. Je pars 脿 sa recherche en cours d'茅criture et j'essaie de le d茅finir au fur et 脿 mesure.


Kathleen Evin : Justement, cette perte de rep猫res que vous venez d'expliquer par rapport 脿 votre personnage, parce que, en gros, quand on lit vos livres pr茅c茅dents, il y a une familiarit茅, on reconna卯t ce type d'homme, comme 莽a, un peu ind茅cis, entre deux eaux. Si vous dites que vous ne savez plus trop o霉 il est par rapport aux pr茅c茅dents livres, est-ce que ce n'est pas tout simplement parce qu'il a vieilli?

Christian Oster : C'est en partie parce qu'il a vieilli et aussi en partie parce que je ne veux plus raconter, encore une fois, d'histoires de rencontres qui prennent tout le devant de la sc猫ne et que, par cons茅quent, je bascule de probl猫mes, disons, sentimentaux vers des probl猫mes, avec tous les guillemets qu'on voudra, que je qualifierais, disons d'existentiels; et qui sont en fait li茅s, effectivement, au temps qui a pass茅, 脿 la solitude qui nous compose tous d'une fa莽on, qu'on le veuille ou non.


Kathleen Evin : Est-ce que vous diriez, Christian Oster, que ce Jean est anim茅 par la peur, mais une peur qu'il ne sait pas d茅finir?

Christian Oster : Il y a une peur qu'il sait d茅finir dans le livre鈥� [l'animatrice encha卯ne :聽la peur que la vie s'acc茅l猫re vers la fin] oui, voil脿, cette peur-l脿 elle est analys茅e. Elle m'est propre aussi, je l'ai pas invent茅e, elle est propre 脿 un certain nombre de gens. Je trouve que, quand m锚me, 锚tre en vie c'est formidable, mais c'est aussi absolument extraordinairement 茅trange, de penser qu'il y a ce rideau, ce c么t茅 sombre qui nous accompagne tout le temps et avec lequel on doit, pratiquement quotidiennement, composer. Donc effectivement 莽a lui prend pas mal d'茅nergie, d'affronter ce probl猫me-l脿. Pas que, bien s没r, pas que鈥� bon, il a un travail, il a quelques relations insatisfaisantes, mais il a beaucoup v茅cu, enfin il a suffisamment v茅cu, en tout cas, pour ne pas avoir l'impression de ne pas avoir v茅cu, justement, mais, voil脿, il est en recherche de quelque chose, mais cette recherche n'est pas vraiment exprim茅e. Il avance, il voit le temps passer et il se fuit en m锚me temps, enfin, il fuit ses propres interrogations.


Kathleen Evin : Mais d'ailleurs, ce Jean, il est tr猫s occup茅. C'est-脿-dire, pendant tout le livre il n'arr锚te pas de courir : il va 脿 l'h么pital voir son ami qui est en train de mourir; il essaie d'aller diner chez ces gens qui ne sont pas vraiment des amis, puisqu'ils n'ont jamais eu de conversations tr猫s personnelles; il a des rencontres avec des dames, mais il a tr猫s envie qu'elles quittent son appartement; il va visiter un autre appartement, mais il sait pas vraiment s'il a envie d'y vivre. M锚me son bureau, qui est un petit cocon protecteur, on a le sentiment qu'il n'est pas tr猫s absorb茅 par son travail. Il d茅ambule pour remplir une vie, sans que cette vie soit remplie par鈥� ni par des passions, ni par des amiti茅s, ni par des activit茅s professionnelles. Il flotte un peu.

Christian Oster : Il flotte, bien s没r, mais il est pris dans des contraintes et dans des activit茅s qui sont en fait d茅finies tout simplement par le sc茅nario que moi j'ai con莽u pour ce livre, c'est-脿-dire que moi je voulais que dans ce livre, justement, il y ait beaucoup de mouvement, puisqu'on ne se d茅place pas g茅ographiquement je voulais qu'il y ait beaucoup, en tout cas, d'action, et le groupe d'amis qui est d茅crit ici est un peu l脿 pour 莽a : pour cr茅er des perspectives, des rendez-vous, des accidents qui permettent effectivement au personnage principal, au narrateur de s'agiter, effectivement, aller 脿 l'h么pital. J'ai souvent recours 脿 des 茅v茅nements ext茅rieurs qui font se mouvoir le narrateur. C'est pas forc茅ment lui. Par le pass茅 je l'ai fait se mouvoir par ses propres besoins, par ses propres d茅sirs. L脿 justement, comme il est un petit peu flottant, il se meut avec les autres et par les autres. 脟a c'茅tait une n茅cessit茅 sc茅naristique pour moi. Et puis de voir comment il se d茅battait.


Kathleen Evin : Vous le disiez tout 脿 l'heure, il y a quelque chose qui a chang茅 dans votre mani猫re d'envisager une narration, ces personnages qui avant avaient des rencontres amoureuses, des d茅ceptions, des qu锚tes. L脿 ils se trouvent plut么t confront茅s 脿 : que faire pour vivre? Du coup je me suis replong茅e dans un pr茅c茅dent livre parce qu'il y avait une phrase que je voulais retrouver et je l'ai retrouv茅e, c'est dans le livre聽Trois hommes seuls, o霉 il y a un des personnages qui dit : 芦 Je ne pr茅tendais pas vivre, je trouve que c'est une ambition stupide. On vit de toute fa莽on et en fin de compte quelque chose s'est pass茅. 禄 C'est une phrase que Jean pourrait redire dans ce livre exactement de la m锚me mani猫re.

Christian Oster : Certainement, certainement. J'allais dire : 芦 vous l'avez dit mieux que moi 禄, mais vous me citez! Mais oui, oui, tout 脿 fait.


Kathleen Evin : En fait, dans ce livre, comme souvent dans vos livres, Christian Oster, les hommes restent au bord de la vie, mais ce sont les femmes qui disent ces choses-l脿, qui mettent le doigt sur ces situations 茅tranges o霉 se trouvent les hommes. [鈥�] Christina Oster, votre livre est m茅lancolique et dr么le, j'ai beaucoup ri aussi, mais je me suis dit c'est 茅tonnant parce que ce personnage, Jean, qui est le narrateur du livre, c'est lui qui nous fait rire avec ses r茅flexions. Et en m锚me temps, c'est pas un personnage qui utilise l'humour dans ses conversations avec les autres. Et l脿 donc on se dit : c'est celui qui 茅crit鈥� Alors il y a comme 莽a un brouillage des rep猫res pour le lecteur, assez perturbant.

Christian Oster : Raymond Queneau disait : 芦 il faut se m茅fier de l'humour 禄, ce qui 茅tait assez int茅ressant comme remarque venant de sa part. Oui, il faut s'en m茅fier, c'est-脿-dire que moi j'茅cris pas pour faire rire聽a priori, j'茅cris pas des romans du genre comique, mais de temps en temps, et m锚me assez souvent, quelque chose se profile dans l'茅criture qui fait que soi pour des raisons de burlesque ou de pens茅e de soliloque, on sent pointer quelque chose de l'ordre de l'humour, de la dr么lerie, etc. Et donc si c'est pas trop gros, au passage je l'attrape et je le fais passer. Mais c'est surtout que je鈥� c'est difficile 脿 dire, vous savez, j'茅cris comme 莽a, c'est pas calcul茅, j'ai besoin de cette distance pour faire passer ma narration, pour passer l'affect, pour passer la d茅tresse et tout 莽a. L'humour, de toute fa莽on, ne ressort que mieux, en tout cas, que sur des situations noires ou, en tout cas, probl茅matiques, pr茅occupantes. J'ai peut-锚tre pas r茅pondu 脿 votre question鈥�


Kathleen Evin : Je reviens 脿 cette expression 芦 锚tre au bord de la vie 禄. Alors dans votre livre En ville, Christian Oster, c'est une amie, la meilleure amie du narrateur, Jean, qui parle d'elle-m锚me en disant qu'elle a le sentiment d'锚tre au bord de la vie. Et en fait, il ne reprend pas cette expression, or c'est exactement sa description 脿 lui : il est au bord de sa vie. Il ne rentre jamais vraiment dedans et notamment quand il cherche un appartement. Alors, pour nous, 脿 la聽Maison de la Radio, c'est assez amusant parce que cette visite d'appartement que vous d茅crivez au pied de la聽Maison de la Radio聽on voit tous l'immeuble, on sait exactement o霉 il est, on se dit : 芦 vous l'avez s没rement visit茅e un jour. 禄 Et en fait, il reste, comme dans sa vie, dans cet appartement qu'il va finalement prendre, il va choisir de rester au milieu de la pi猫ce de s茅jour, parce que s'il s'approche trop d'une fen锚tre il voit les voitures, s'il s'approche trop de l'autre il a du bruit, et en fait c'est une assez bonne description, 脿 travers la visite de cet appartement, de ce personnage qui reste au bord de sa vie, mais c'est les femmes, dans votre livre, comme dans tous les pr茅c茅dents livres, qui mettent des noms sur les attitudes et les choses importantes, jamais les hommes, comment 莽a se fait?

Christian Oster : D'abord, l'histoire du 芦 bord de la vie 禄 et l'appartement, il est dit explicitement dans le texte qu'il a la sensation et m锚me 茅ventuellement la volont茅 (quand il dit de cet appartement qui est au bord de la Seine) d'锚tre pas m茅content, dans un sens, d'锚tre arriv茅 au bord de quelque chose. Qui n'est pas forc茅ment la vie, mais qui est une limite apr猫s quoi il faudra probablement passer 脿 autre chose ou en tout cas 茅voluer, en tout cas avancer. Quant aux femmes, qui diraient les choses plus essentielles, les femmes disent toujours des choses plus essentielles de toute fa莽on. Il y a un personnage, Louise, qui est assez importante dans le livre, qui aborde 脿 un moment donn茅, de fa莽on explicite aussi, la question des rapports entre ce groupe d'amis, parce que quelqu'un dit : 芦 on ne se conna卯t pas si bien 禄, et Louise dit : 芦 mais on se parle quand m锚me et on se questionne 禄, et voil脿, elle met certaines choses sur la table. Et quant 脿 Agn猫s Dementelbeau, qui est la femme qui dit qu'elle est au bord de quelque chose, c'est un petit peu particulier parce que, elle, c'est une malheureuse en amour syst茅matique et l脿 elle parle au narrateur d'une opportunit茅 qui se pr茅sente 脿 elle de basculer dans la vie justement parce qu'elle va peut-锚tre tomber amoureuse. Mais elle est tr猫s, tr猫s peu s没re d'elle-m锚me. Moi, je la connais pas cette femme-l脿, pas plus que les autres. En fait je ne connais personne dans ce livre et ce sont des gens que je d茅couvre au fur et 脿 mesure et qui v茅hiculent un certain nombre de pens茅es que moi, effectivement, je peux avoir. Je sais m锚me pas si je les ai ou si je les leur pr锚te. En tout cas, le temps que je les 茅cris, je les ai. L脿 aussi c'est vraiment difficile de r茅pondre 脿 cette question.


Kathleen Evin : Christian Oster, depuis qu'on a commenc茅 脿 parler de ce dernier livre,听En ville, qui vient de para卯tre aux 茅ditions de l'Olivier, je me demande si les auditeurs ne se disent pas un peu : 芦 mais qu'est-ce que c'est que cette histoire, d茅cousue? 禄 En fait elle est d茅cousue comme dans la vie, c'est-脿-dire qu'il lui arrive ce qui nous arrive 脿 tous et en plus comme on suit le fil de la pens茅e du narrateur, on le suit dans des m茅andres et, en fait, ce qui est surprenant, c'est que votre 茅criture pour nous raconter ce flou de la vie, cette ambigu茂t茅, ces personnages qui h茅sitent entre, toujours, des choix impossibles, vous avez une 茅criture incroyablement pr茅cise et en fait je me demande toujours comment vous faites pour ne pas perdre le fil. Parce que ce Jean, il est difficile 脿 suivre, dans ses pens茅es, dans ses actions et votre 茅criture le suit, j'allais dire, presque diaboliquement. Est-ce que d猫s la premi猫re ligne vous savez tr猫s exactement o霉 vous allez. Parce que quand vous dites : 芦 ces gens-l脿, je ne les connais pas, je les d茅couvre 禄, on se demande comment justement l'茅crivain, l'茅crivant, arrive 脿 suivre des gens un peu flottants.

Christian Oster : Je ne savais pas o霉 j'allais quand j'ai commenc茅 脿 茅crire cette histoire. Mais tr猫s vite, je me suis pos茅 la question de savoir o霉 j'allais. En clair, tr猫s vite, je me suis pos茅 la question du sc茅nario - je dis sc茅nario, m锚me si on est pas au cin茅ma. Et ce qui me permet de suivre mon narrateur et de suivre tous ces personnages, c'est tout simplement parce que je raconte une histoire, que cette histoire je l'ai trac茅e 脿 grandes lignes au bout d'un certain nombre de pages, je vais vous la raconter, tr猫s vite : un groupe d'amis se retrouve 脿 la premi猫re page pour d茅cider de partir en vacances ensemble et ce qui va se passer c'est que ce projet va avoir du mal 脿 se mettre en place, pour des tas de raisons, 脿 savoir que un couple va se d茅liter, un des personnages arrive d茅j脿 en 茅tat de rupture, un autre est tr猫s malade et il va y avoir un probl猫me, le narrateur lui-m锚me va vire des 茅v茅nements qui vont 锚tre tout 脿 fait perturbants. Donc tout 莽a c'est de l'histoire, c'est de l'anecdote, c'est de l'茅v茅nement. Tout 莽a moi je l'ai en t锚te et mon histoire se prom猫ne au long du concret de ces situations, et le soliloque, que vous 茅voquez, ou en tout cas les p茅r茅grinations mentales du narrateur, ne font qu'accompagner toujours des situations concr猫tes. Vous savez, j'茅cris des livres qui se passent dans des milieux, en l'occurrence, urbains, mais en tout cas des milieux europ茅ens. 脟a se passe jamais 脿 Caracas ni 脿 Sa茂gon, mais 脿 partir de l脿 il y a une histoire qui doit se mettre en place, avec, en plus de cette histoire et de ce sc茅nario, il y a des th猫mes dont j'ai pas d茅cid茅s聽a priori聽de parler, mais qui sont l脿 et qui m'habitent tout le temps, qui sont effectivement le vieillissement, qui sont la mort, mais qui sont aussi et toujours, malgr茅 tout, l'amour, puisque l脿, tr猫s souterrainement, l'amour est tout 脿 fait pr茅sent; et m锚me parfois plus que souterrainement, il est d'abord pr茅sent dans les autres personnages, notamment les personnages f茅minins, mais aussi dans le personnage de George, qui accompagne souvent le narrateur, mais on s'en apercevra si on lit le livre jusqu'au bout. Il est pr茅sent aussi, pour le narrateur.


Kathleen Evin : Christian Oster, tout au long de ces pages, il y a une extr锚me pr茅cision 脿 nommer les lieux, les objets, les couleurs, les bruits, les terrasses de caf茅, les lieux o霉 莽a se passe. C'est ce qui structure votre roman aussi, 莽a vous sert 脿 donner de la chair 脿 vos personnages?

Christian Oster : Je sais pas si je verrais les choses comme 莽a. Il est certain que j'essaie toujours鈥� dans des situations concr猫tes, m锚me si le narrateur-soliloque est peut-锚tre un peu plus dans ce livre-l脿 que dans le pr茅c茅dent, notamment, o霉 il ne soliloque pas du tout. J'ai besoin, j'ai envie que les situations soient tr猫s visuelles, tr猫s palpables, d'o霉 sans doute mon attention 脿 certains d茅tails, mais qui n'est pas une intention non plus, m锚me si elle l'a 茅t茅 par le pass茅, hyper r茅aliste. C'est juste une attention focalisante, mais qui est pour moi une cons茅quence m锚me du geste d'茅crire. 脡肠谤颈谤别 c'est, 茅crire notamment des romans, c'est focaliser sur son objet, donc 脿 partir du moment o霉 effectivement je suis 脿 une terrasse de caf茅 je peux d茅crire le fait que quelqu'un boit un diabolo menthe sur deux pages. Voil脿, j'y consacrerais peut-锚tre deux lignes. Et puis c'est pas鈥� il peut y avoir un geste鈥� Vous savez, ce sont des phrases qui s'aboutent, au sein de la m锚me phrase les mots s'aboutent les uns aux autres, et parfois font d茅river du concret vers le mental, et quelque chose de concret peut tr猫s bien amener comme 莽a au d茅tour d'une ligne, 脿 une consid茅ration mentale. Tout est m茅lang茅 et tout est li茅, en fait, 脿 ce que quelqu'un que j'ai bien connu appelait 芦 l'aventure de l'茅criture 禄.


Kathleen Evin : Puis, il y a aussi quelque chose鈥� alors j'ai relu des pages, parce que c'est toujours une question qu'on se pose, c'est la concordance des temps en fait. C'est-脿-dire que c'est un r茅cit au pr茅sent et qui se d茅roule aussi au pass茅. Donc il y a 脿 l'int茅rieur des phrases, sans arr锚t, des changements comme 莽a de temps, est-ce que c'est quelque chose qui est assez compliqu茅 脿 mener un r茅cit au pr茅sent et avec des choses au pass茅?

Christian Oster : Alors l脿, je vous ferais juste observer que ce r茅cit n'est absolument pas au pr茅sent, ce r茅cit est enti猫rement 茅crit au pass茅 compos茅. De toute fa莽on, le pr茅sent, on est toujours dans un pr茅sent dans un r茅cit, m锚me si on est au pass茅 simple. Et donc, effectivement, 莽a am猫ne鈥� comme dans ce livre, effectivement, il y a plus, beaucoup plus que dans d'autres, des rem茅morations (il y en a pas non plus 茅norm茅ment, mais il y a notamment des sc猫nes enti猫res qui sont une rem茅moration, notamment la rencontre avec Agn猫s de Montelbeau sur une plage), effectivement, j'emploie des temps surcompos茅s. 脟a peut para卯tre parfois encombrant, mais pas tant que 莽a finalement.

Kathleen Evin : Christian Oster, c'est votre marque de fabrique aussi dans vos livres, d'abord on est toujours dans la t锚te du personnage principal, et comme lui parfois on s'茅vade dans des d茅tails, dans des choses qui ont l'air apparemment, compl猫tement en dehors du fil de l'histoire et au fond cette accumulation de d茅tails elle finit par d茅crire tellement pr茅cis茅ment le personnage qui, par ailleurs n'est pas physiquement d茅crit, c'est une forme d'茅criture qui vous est personnelle et qui est tr猫s intrigante, parce que le lecteur du coup apprend des choses sur le personnage que vous ne lui racontez pas.

Christian Oster : Oui, que le personnage, enfin qu'on n'ait pas de d茅tails sur l'apparence physique du personnage n'a rien me semble-t-il que de tr猫s naturel, puisque lorsqu'on 茅crit 脿 la troisi猫me personne, 脿 moins de verser dans le genre 芦 je me suis regard茅 dans la glace, je me suis trouv茅 gras, etc. 禄 ou 芦 je suis un homme de telle taille, j'ai telle complexion 禄, ce qui est aussi un genre presque litt茅raire, que je ne pratique pas, 脿 moins de pratiquer 莽a, effectivement, on ne voit que le personnage dans ses agissements et dans ses pens茅es, mais dans ses pens茅es sur sa situation, sur鈥� etc. Et quant aux d茅tails que vous 茅voquez, effectivement, il est possible que je m'attarde sur des d茅tails, mais c'est jamais pour moi, pour moi en tout cas, pour faire des digressions, c'est parce que 脿 un moment donn茅 dans mon histoire tel d茅tail a son importance ou me permet un peu d'ironie et 脿 ce moment je focalise sur ce d茅tail, mais je focalise pas au point d'en faire des inserts, des gros plans de fa莽on hyper r茅aliste. Il y a un 茅crivain am茅ricain qui faisait 莽a, qui a 茅crit聽La Mezzanine, qui lui pratiquait cette esp猫ce d'insert 茅norme sur les d茅tails. J'esp猫re en tout cas ne pas digresser dans ces d茅tails et apporter au contraire de l'eau au moulin de la conscience du narrateur.

Kathleen Evin : Oui mais c'est justement cette forme de style qui vous est propre et qu'on retrouve 脿 chacun de vos livres, Christian Oster, c'est des phrases tr猫s courtes, tr猫s cisel茅es, un go没t pour le mot pr茅cis, j'imagine que 莽a vous prend du temps aussi pour racler la phrase et puis tout d'un coup elle s'envole comme l'esprit du personnage tout d'un coup part. Et c'est assez formidable comme proc茅d茅 narratif, parce que c'est un style, d'abord on vous reconna卯t et en plus le lecteur arrive assez bien 脿 se mettre 脿 l'int茅rieur, en l'occurrence de Simon [narrateur de Le聽coeur du probl猫me]. 脟a prend du temps pour vous j'imagine, est-ce que vous vous r茅p茅tez les phrases, est-ce qu'il faut qu'elles sonnent 脿 votre oreille, ou est-ce que c'est un long travail d'茅criture, de r茅茅criture jusqu'脿 ce que la phrase vous paraisse correspondre 脿 ce que vous cherchez?

Christian Oster : Non je retravaille pas tant que 莽a, enfin, le flux de la phrase. Enfin, je suis sans arr锚t attentif au rythme, comme vous le signalez, 茅videmment, mais mon retravail va plus du c么t茅 de la justesse des notations, de l'ordre des personnages, du psychologique ou de certains dialogues. Mais c'est pas鈥� c'est sur la justesse en fait. Pour le rythme de la phrase disons : je ne peux pas continuer 脿 茅crire si je sens pas de rythme, je peux pas finir une phrase si je sens pas qu'elle chute, non pas de fa莽on spectaculaire, mais musicalement ou rythmiquement, qu'elle chute bien. Parfois y a rien, une syllabe de trop, je sais pas. C'est une question de rythme.

脌 propos de ses personnages.

Christian Oster : Je pense que c'est une propension, quand m锚me chez moi, 脿 essayer d'aller chercher de l'茅tranget茅, comme 莽a instinctivement, qui fait que les personnages sont effectivement, non pas聽borderline鈥� [Kathleen Evin encha卯ne et qualifie les personnages osteriens de 芦 carr茅ment bizarres 禄].

Kathleen Evin : D'ailleurs, est-ce que lorsque vous commencez un livre comme celui-l脿, avec des hommes flous, vous savez tr猫s exactement ce que vous allez faire de vos personnages, o霉 vous allez les emmener, quel est le milieu, la fin? Ou est-ce que parfois, justement, ces personnages pendant la r茅daction de cette sc猫ne ils font tout d'un coup sous votre plume quelque chose qui vous emm猫ne tout d'un coup ailleurs?

Christian Oster : 脟a peut arriver en effet, n茅anmoins ce livre, y a un plan quand m锚me qui a 茅t茅 茅crit, pas forc茅ment enti猫rement au d茅but mais en cours d'茅criture. Je sais pas, au premier tiers il a fallu quand m锚me que je m'interroge sur qui devrait 锚tre le milieu et au troisi猫me quart, je me posais des questions sur la fin. Donc, il y a une qualification, il y a un vrai travail rationnel et ensuite y a une partie d'abandon 脿 l'茅criture, ce qu'on appelle l'aventure de l'茅criture.

* Les questions ne sont pas entendues dans l'entretien, seulement les r茅ponses d'Oster.

Tous mes romans sont des romans de route, mais celui-l脿 est une esp猫ce de roman de route pur. O霉 il y avait du d茅placement 脿 peu pr猫s tout au long du livre. Donc 莽a, c'est un petit peu l'id茅e de d茅part.

La r茅f茅rence majeure,听Sur la route, Kerouac, n'a jou茅 absolument aucun r么le dans l'茅criture de ce livre puisque de toute fa莽on c'茅tait d茅j脿 un roman 脿 la fran莽aise, fran莽ais, tr猫s fran莽ais, d'ailleurs qui se passe en France. Et en plus, mes souvenirs de lecture 脿 ce niveau-l脿 sont tr猫s anciens. Ce livre-l脿 ne m'a pas du tout servi de d茅clic, si ce n'est que de r茅f茅rence dans le fond culturel.

Moi je me d茅place assez peu 脿 l'茅tranger, beaucoup en France et notamment en 茅t茅 茅videmment, 脿 la p茅riode des vacances. C'est comme 莽a que je d茅couvre certaines r茅gions et c'est souvent l脿 aussi que je d茅couvre des lieux que j'utilise pour des romans, l脿 en l'occurrence pour celui-l脿 je suis parti 脿 partir d'une carte de France et d'Internet pour voir un petit peu par o霉 je passais en fait pour aller vers une ville, oui, qui en l'occurrence est Marseille, mais qui aurait pu 锚tre une autre ville du sud.

J'茅cris pas forc茅ment sur place, mais il m'arrive de prendre des notes sur des lieux que je trouve tout 脿 fait int茅ressants. C'est bien d'茅crire avec un peu de recul, je pr茅f猫re m锚me, je crois.

J'utilise 脿 peu pr猫s aucune exp茅rience personnelle, aucun souvenir li茅 脿 des鈥� m锚me ne serait-ce qu'脿 des micros sc猫nes v茅cues. Tout est absolument invent茅 en 茅crivant. Il n'y a aucune trace. Ah, de temps en temps il peut y avoir un personnage qui vient de mon pass茅, mais dans ce cas-l脿 un personnage totalement secondaire.

Je suis parti de la premi猫re phrase, que je savais qu'un personnage devait rouler, que j'allais 茅crire ce livre au pass茅 compos茅, c'est-脿-dire avec un temps d'action, sec, et que je voulais d茅crire cette avanc茅e sur la route de mon personnage le plus possible de l'ext茅rieur. 脌 la fa莽on justement, alors l脿 pour le coup, des Am茅ricains, des behavioristes am茅ricains. Un peu, enfin. 脟a n'emp锚che pas les soliloques, mais ces soliloques ne sont jamais frontaux, ils n'abordent jamais des questions de fond. La d茅pression qu'on peut imaginer du personnage, en tout cas les probl猫mes que peuvent avoir les personnages ne sont abord茅s que par le biais. Je veux que le lecteur puisse d茅couvrir en m锚me temps que moi qui 茅cris ce livre鈥� qu'il puisse en m锚me temps que moi d茅couvrir ce personnage, chercher 脿 le comprendre, chercher 脿 le suivre.

Le lecteur est invit茅 脿 ce voyage, 脿 accompagner ce voyageur (puisque c'en est un), et 脿 d茅couvrir - je n'aime pas ce mot-l脿 - son identit茅, en tout cas sa personnalit茅 脿 travers ses p茅r茅grinations, ses rencontres, ses r茅actions 脿 ces rencontres, 脿 l'environnement qu'il d茅couvre, etc.

L'identit茅 c'est un concept auquel je crois pas beaucoup, je crois qu'on existe essentiellement sous le regard des autres et je crois pas beaucoup 脿 une identit茅 fig茅e. Le voyage en l'occurrence ici 茅tait sans doute, probablement, une qu锚te. D'ailleurs il y a une partie un peu initiation, il y a quelques petites difficult茅s qui sont rencontr茅es au cours du parcours et qui peuvent 茅voquer une initiation. Mais quant 脿 l'identit茅, c'est-脿-dire ce qu'est profond茅ment le personnage, c'est pas tellement le probl猫me. Cela dit, le personnage est travaill茅 par un certain nombre de choses : il est travaill茅 par le temps, par la mort, par l'amour aussi d'une certaine fa莽on, par ce qui habite les hommes de fa莽on g茅n茅rale.

Il est possible que les rencontres que fait le narrateur au cours de son voyage鈥� en tout cas, elles servent d'une part 脿 le r茅v茅ler au lecteur et 脿 me le r茅v茅ler 脿 moi, car je ne le connais pas au d茅part.

Dans cette histoire, il y a ce probl猫me que moi j'ai toujours abord茅 plus ou moins dans mes romans, qui est que : en fait dans la vie il ne faut pas arriver, parce que quand on arrive 莽a veut dire que c'est fini, et donc c'est la mort. En fait il y a cette notion d'un personnage qui erre, qui se cherche, et qui sait que s'il arrive, peut-锚tre qu'il faudra qu'il se pose d'autres questions, plus insolubles encore que celles qui l'agitent au cours du voyage et donc qui h茅site et qui avance en h茅sitant.

Au d茅part, je n'ai absolument pas grand-chose en t锚te, la seule chose que je sais, concernant le narrateur, c'est qu'il va pas tr猫s bien. Parce que 莽a m'int茅resse pas de parler鈥� je pense que 莽a int茅resserait 脿 peu pr猫s aucun 茅crivain de parler de quelqu'un qui va bien. Sauf si justement il va bien et que quelque chose d'atroce lui arrive. Mais moi je fais plut么t le chemin inverse : je parle de quelqu'un qui va plut么t pas bien et qui peut-锚tre dans le meilleur des cas aura quelque chose de bien qui lui arrivera. Donc ce personnage il n'est pas du tout construit, il est psychologiquement pas construit m锚me si鈥� il y a beaucoup de moi dans mes narrateurs. 脡videmment, moi compl猫tement caricatur茅, peut-锚tre encore plus鈥� quoique 莽a d茅pend. Dans la vie, je peux 锚tre encore plus angoiss茅 que le personnage ou beaucoup moins, enfin 莽a veut rien dire. Mais je ne le connais pas ce personnage. C'est une projection de moi, mais ce n'est pas moi. Je veux dire, la preuve, c'est que justement je le cherche. Moi, je me connais un peu, je connais mes d茅fauts, je connais mes angoisses, etc. Lui ce personnage-l脿 je ne le connais pas exactement, donc j'avance vraiment avec lui en le d茅couvrant.

On peut consid茅rer que, oui, le narrateur est une sorte de double, bien 茅videmment, un double fictif en l'occurrence.

Moi je suis influenc茅 par ce qu'茅crit ma femme. R茅cemment, parce qu'on travaille tous les deux de fa莽on radicalement diff茅rente. Moi il me faut une sorte de plan. L脿 justement c'est un peu particulier, ce roman c'est que je n'avais pas de plan, sauf la route, la trajectoire. C'est d'ailleurs 莽a une des influences, parce que ma femme, elle, travaille sans aucun plan. Elle part d'une phrase, elle sait pas du tout o霉 elle va et, d'autre part, ses histoires mettent assez peu en sc猫ne des d茅placements. Ce sont plus des d茅placements mentals [sic.], m锚me s'il y a beaucoup d'action et de concret dans ses histoires. La rem茅moration est 茅norme, enfin elle prend une place 茅norme et c'est 脿 travers ces rem茅morations qu'on palpe du concret et de l'anecdote. Et moi donc je travaille compl猫tement 脿 l'inverse puisque je fais quelque chose de compl猫tement lin茅aire dans le temps, il y a pratiquement pas de听蹿濒补蝉丑-产补肠办, il y a pas de plan. Mais, 脿 la lire, finalement, je capte des choses du genre : oui, apr猫s tout, fais ce que tu veux, oublie ton plan, tu verras bien, la phrase d茅cidera pour toi, etc. Ce que je ne faisais pas avant. La phrase ne prenait que des d茅cisions mineures par rapport 脿 mes options de d茅part.

* Entrevue r茅alis茅e en 2015 脿 l'occasion de la parution du roman聽Le coeur du probl猫me. Seules les r茅ponses sont audibles; les questions ne le sont pas.

Au d茅part du roman, il y a une phrase qui indique qu'il y a un cadavre dans le salon lorsque le narrateur rentre chez lui. Et un petit peu plus tard, que sa femme est en train de prendre son bain 脿 l'茅tage, et un petit peu plus tard encore, deux pages plus loin, qu'elle s'en va et qu'elle lui demande de se d茅brouiller avec ce corps, qui se trouve 茅tendu dans le salon. Donc ce que j'appelle partir d'une situation聽a priori聽un peu forte, un peu contrast茅e. Et voil脿, et ensuite ce qui se passe c'est que le narrateur va choisir, en d茅pit du malaise et de la surprise violente qu'il 茅prouve, il va choisir de couvrir sa femme, qui, 茅ventuellement, est l'auteure de ce crime.

Dans le m锚me temps qu'il d茅couvre que visiblement sa femme le trompe avec鈥� le trompait avec cet homme qui est chez lui et qui est mort, il va agir essentiellement par amour pour elle en choisissant pr茅cis茅ment de la couvrir. Donc il met son mouchoir par-dessus sa jalousie, qui va aussi jouer son r么le bien s没r, mais voil脿, il va avancer dans ce sens-l脿. Alors 茅videmment il va avancer dans le doute et dans les interrogations, parce qu'il n'est pas franchement habitu茅 脿 ce genre de situations, comme d'ailleurs j'imagine (et c'est 脿 莽a que je pensais en 茅crivant), aucun de mes 茅ventuels lecteurs.

Il y a encore du d茅placement dans ce roman-l脿, 脿 moindre titre que dans les pr茅c茅dents, entre Paris et la province et de province 脿 province, mais c'est vrai que le d茅placement majeur qui se produit, c'est un d茅placement mental. Il y a toujours un d茅placement mental dans toutes les histoires, sinon il n'y a pas d'histoire. L脿, effectivement, il occupe le devant de la sc猫ne puisqu'en fait c'est les interrogations et le basculement de la vie du narrateur qui est le centre du livre.

Quand j'茅cris, j'essaie toujours, d'abord, d'锚tre concret et visuel, parce que鈥� enfin, je sais pas, quand j'ai commenc茅 脿 apprendre 脿 茅crire il y a tr猫s longtemps, c'茅tait tr猫s abstrait, j'avais une esp猫ce de penchant 脿 l'abstraction, que j'ai toujours combattu, et donc je tends toujours 脿 atteindre de concret et du visuel, du palpable. Donc, quand j'茅cris une sc猫ne, effectivement, j'essaie de la voir, j'essaie de la voir, de voir des gestes, des d茅cors, tout ce qui est de l'ordre du sensible.

* Entretien paru en 2012 脿 l'occasion de la publication du roman聽En ville.聽Seules les r茅ponses sont audibles; les questions ne le sont pas.


Je suis parisien et je n'ai jamais r茅ussi 脿 parler de Paris. Et dans ce roman-l脿, je me suis lanc茅, j'ai voulu parler un petit peu de ma ville. Et de la ville aussi d'une fa莽on g茅n茅rale, puisque mes romans se passent toujours 脿 la campagne.

L'id茅e c'est toujours aussi d'茅crire un roman en contraste avec le pr茅c茅dent. Mon pr茅c茅dent, il va 锚tre un聽road book聽et, d'une part, et d'autre part, un livre qui est 茅crit compl猫tement en ext茅rieur, 脿 la mani猫re des聽behavioristes聽am茅ricains, pour faire court. Et l脿, j'ai voulu prendre le contre-pied de 莽a : plus de d茅placement, ce qui pour moi 茅tait une gageure puisque d'abord le roman est d茅placement et tous [les] romans comprennent des d茅placements, notamment des d茅placements en voiture, en transport, etc. Et l脿 j'ai voulu un roman assez immobile sur le plan g茅ographique, d'une part, et, d'autre part, aborder la narration sans la contrainte pr茅c茅dente, 脿 savoir toute libert茅 donn茅e au soliloque.

Paris est une ville assez compliqu茅e et moi je me suis content茅 de prendre quelques quartiers pas trop difficiles 脿 d茅crire. Et puis, peut-锚tre que effectivement, ce cadre plus ou moins immobile, o霉 il est question tout le temps de partir mais o霉 on ne part pas pr茅cis茅ment, me laisser plus de place pour l'introspection (j'aime pas trop ce mot-l脿, 芦 introspection 禄), en tout cas oui pour une certaine forme de discours qui n'est pas toujours un discours concret. Bien que, il y a toujours du concret dans mes livres et notamment dans celui-l脿, et de l'action aussi. Car, un autre de mes paris, entre guillemets, est de faire en sorte qu'il y ait pas mal d'action dans ce livre, en tout cas pas mal d'茅v茅nements qui fassent rebondir l'intrigue鈥� peut-锚tre pas 脿 la fin de chaque chapitre鈥� [suite de mots incompr茅hensibles] un feuilleton en quelque sorte, m锚me si on en est loin au bout du compte. Je suis parti de 莽a.

Un des d茅cors principaux du livre c'est effectivement un coin du bord de Seine du c么t茅 de la Maison de la Radio, qui, la premi猫re fois que je l'ai d茅couvert, m'a paru totalement inhospitalier, perdu, excentr茅, mais en m锚me temps fascinant 脿 plusieurs 茅gards, notamment cette proximit茅 de la Seine, cette incongruit茅 de la Statue de la Libert茅, qui est l脿 plant茅e au milieu du fleuve, plus d'autres bizarreries que j'ai d茅couvertes en 茅crivant le roman et en me rendant sur place, notamment l'existence de cette rue Eug猫ne-Poubelle, une des rues les plus courtes de Paris. Voil脿, c'est une fa莽on pour moi d'explorer un endroit que je connaissais bien, mais r茅cemment en fait. Comme tous les endroits que je mets en sc猫ne, ce sont des endroits que j'ai en t锚te parce qu'ils sont assez pr茅sents, ils sont assez r茅cents dans mon esprit.

Le roman que j'ai voulu 茅crire, c'est d'abord鈥� j'avais pas de projet particulier, je n'ai jamais de projet particulier ni de discours qui soient inscrits au d茅part. Mais comme tous mes romans parlent du temps et de l'茅coulement du temps, du vieillissement, d'une forme de d茅sillusion aussi et puis aussi, je voulais鈥� enfin, il y a un roman sur le temps avec des vues, comme 莽a, ponctuelles sur ce que c'est que 莽a, le ressenti de 莽a, le v茅cu de 莽a. Puis aussi je voulais mettre en sc猫ne un groupe, et mettre beaucoup de personnages en sc猫ne, c'茅tait aussi une de mes contraintes. J'avais envie de mettre en sc猫ne un groupe d'amis, cinq ou six personnes, sept, qui soient tout le temps pr茅sents et dont on suit les destins en m锚me temps, parall猫lement.

* Les questions ne sont pas connues, seulement les r茅ponses d'Oster.
Entretien men茅 en 2017

Le livre commence par une situation o霉 le narrateur est le t茅moin d'un incendie qu'il a involontairement provoqu茅 dans sa maison et d猫s la premi猫re page, il va se rendre compte qu'il n'a pas envie d'intervenir. Il va regarder le feu se d茅velopper, puis quand 莽a devient dangereux, il va se contenter de prendre un sac et partir 脿 Paris. Il est 脿 la campagne. Il se rend compte que, en fait, ce geste ou ce non-geste, plus pr茅cis茅ment, correspond 脿 un refus de sa vie pass茅e, 脿 ce qu'il a v茅cu jusqu'脿 pr茅sent et il va entrer dans une phase de survie. Et comme il est acteur, et qu'il n'est plus en prise avec la vie, il va se r茅fugier dans la fiction, la fiction de son m茅tier, la fiction qui est son m茅tier et, d'autre part, la vie autour, 脿 laquelle il ne veut pas acc茅der et qu'il va 茅galement, lui, appr茅hender comme une fiction. Au cours de ses errances, il va rencontrer une actrice c茅l猫bre, une vieille dame, et 茅galement le fils de cette dame, qui a, je sais pas, une trentaine, quarantaine d'ann茅es, qui sort de l'h么pital psychiatrique, et qui va鈥� auquel, lui, le narrateur va attacher ses pas, sans qu'il sache vraiment pourquoi. Ce personnage-l脿, le fils dont j'ai oubli茅 le pr茅nom, correspondant un peu 脿 un double du narrateur. Lui sort de l'h么pital psychiatrique, mais on le consid猫re dans le roman au bord de la folie toujours et d'ailleurs tout en 茅tant intrigu茅 par ce personnage, parce qu'il faut bien l'int茅resser 脿 quelque chose ce narrateur鈥� Tout en s'int茅ressant 脿 lui, il s'interroge 脿 la fois sur lui et sur lui-m锚me. Mais tout 莽a 茅videmment entra卯ne des p茅r茅grinations 脿 la fois dans la ville et m锚me en dehors des fronti猫res et puis il va y avoir une 茅volution de ce personnage 脿 travers son travail鈥� c'est un acteur de troisi猫me zone, mais bizarrement sa situation va s'am茅liorer professionnellement au cours du livre, am茅lioration dont il ne saura tirer aucun b茅n茅fice mental, puisqu'il n'est pas apte. Et ensuite, apr猫s, il y 茅videmment聽La vie automatique聽qui signifie 芦 la vie en automate 禄 et puis il y a le sens de 芦 automatiquement la vie 禄, c'est-脿-dire peut aussi 脿 un moment donn茅 reprendre ses droits.

Je commence une histoire de diff茅rentes mani猫res, 莽a d茅pend comment 莽a se pr茅sente : une phrase de d茅but, une id茅e d'association de th猫mes. Je vais vous donner un exemple, une histoire qui s'appelle聽La salade maudite, je me suis dit : 芦 je vais raconter une histoire de l茅gumes, mais pour changer j'aimerais bien mixer, si j'ose dire, le l茅gume avec de la f茅茅rie classique. 禄 J'ai mis une princesse ou un prince, je me souviens plus, sur le chemin de la petite salade qui se prom猫ne dans la campagne. Et puis voil脿, deux univers qui se rencontrent. Sauf que je me souviens aussi que le d茅marrage de cette histoire, que j'ai commenc茅 脿 茅crire dans le train, c'茅tait une phrase particuli猫rement niaise qui 茅tait : 芦 Il 茅tait une fois une jolie mignonne petite salade qui se promenait toute seule dans la campagne 禄, le genre de petite phrase qu'on lance pour raconter 脿 un enfant pour l'endormir. Alors, je me suis dit : 芦 je la garde parce qu'elle est exemplaire. 禄 Exemplaire de niaiserie, de simplicit茅.

Je puise dans le personnel classique du conte : prince, princesse, d'une part, roi, reine, fou, f茅e, sorci猫re, etc. Et d'autre part, dans l'autre branche, la branche animale, classique aussi, avec donc massivement face 脿 nous, le cochon et le loup (grandes vedettes de l'affaire), mais aussi la poule et 茅ventuellement quelques animaux secondaires comme la taupe, le h茅risson, le mulot, etc. Donc, le conte, tout 莽a se r茅f猫re malgr茅 tout au conte classique et aussi parfois au conte, classique aussi, d'animaux.

J'ai beaucoup aim茅... j'ai d茅couvert tardivement, avant d'en avoir 茅crit moi-m锚me, des esp猫ces de contes, en effet, qui sont ceux que vous connaissez, j'ai d茅couvert Grimm et 莽a, j'ai trouv茅 莽a assez formidable. En revanche, dans les plus modernes, c'est Marcel Aym茅 qui, pour moi, est vraiment un sommet absolu. Enfin,听Les Contes du chat perch茅, je veux dire.

Quand j'ai commenc茅 脿 茅crire ces contes, 莽a venait vraiment massivement. C'est-脿-dire que j'avais une esp猫ce de champ qui s'ouvrait 脿 moi et j'茅crivais, mais vraiment, 脿 un rythme effr茅n茅, mais parce que 莽a me plaisait : je d茅couvrais ce domaine, donc j'avais envie de le bouffer, ce domaine-l脿, de l'investir en tout cas. Et puis, peu 脿 peu on s'aper莽oit qu'en fait les possibilit茅s sont sans doute infinies, mais le nombre de personnages du conte classique, lui, ne l'est pas. Le personnel du conte classique est fini. Il est 脿 peu pr猫s fini. Il y en a une dizaine dans le conte classique et il y en a moins d'une dizaine dans le conte d'animaux. Et donc alors apr猫s il faut croiser 莽a, d'o霉 cette fameuse histoire de la salade maudite qui est un croisement鈥� alors il y a un troisi猫me genre que sont les v茅g茅taux, et puis il y en a un quatri猫me, que j'ai plut么t abandonn茅, qui sont les objets.

J'ai aujourd'hui plus de mal 脿 茅crire qu'avant, puisqu'en fait je suis oblig茅 de faire des efforts pour recroiser les fils, trouver des associations nouvelles, etc. Et puis de temps en temps arrive une 茅vidence, des choses auxquelles on pense pas, qui sont toujours les choses les plus鈥� Pour moi聽Le chevalier qui cherchait ses chaussettes聽fait un peu partie de ces 茅vidences, c'est l'histoire qu'il fallait 茅crire, de m锚me que聽Le cochon qui voulait bronzer. Voil脿 une id茅e, un concept qui est 脿 la fois un titre et qui鈥� voil脿, l'histoire est l脿, il reste plus qu'脿 l'茅crire. Mais souvent c'est plus compliqu茅 que 莽a pour nouer une histoire.

La chaussette est quand m锚me un 茅l茅ment, un accessoire trivial dans notre vie quotidienne, donc vive les accessoires triviaux, parce qu'on en a toujours besoin en litt茅rature, donc la chaussette. En plus c'est le bas corporel comme on dit, c'est quelque chose d'un peu, bon, pour les enfants鈥� c'est concret et c'est bas鈥� je ne trouve pas le terme. Un rien vulgaire! Enfin, bon. Chevalier, chaussette, il y a une opposition entre la solennit茅 du chevalier et la trivialit茅 de la chaussette. Voil脿, c'est trivial, que je voulais dire plus t么t. D'ailleurs au d茅but 莽a s'appelait聽Le prince聽et je me suis dit : 芦 le prince qui cherchait ses chaussettes, le prince qui cherchait ses chaussettes, mais non, bien s没r, chevalier 脿 cause du 鈥渃he鈥� 禄, qui est une forme de prince, finalement. Et voil脿, ce contraste entre la qu锚te chevaleresque, justement, et la qu锚te d茅risoire de la chaussette. Tout 莽a 茅tant 茅videmment inconsciemment servi par un 茅l茅ment autobiographique qui est que, pour ce qui me concerne, dans ma vie, les chaussettes disparaissent. Et souvent, perdent leur soeur. O霉 vont les chaussettes? Comment disparaissent les chaussettes? Pourquoi? Qui en profite? Mes chaussettes disparaissent, c'est鈥�

Section de l'entretien : du conte au roman, du roman au conte

C'est pas tant, peut-锚tre je sais pas, d'une part, la litt茅rature pour adulte, d'autre part, la litt茅rature pour enfant, que, d'une part, du roman et, d'autre part, du conte. Et le conte, comme chacun sait, tend quand m锚me, enfin pour ce qu'on en conna卯t (Perrault, Grimm, Anderson, tout 莽a), le conte est quand m锚me beaucoup destin茅 aux enfants鈥� par nature. Et donc voil脿, je passe du roman au conte. Je sais qu'il existe des contes pas pour les enfants, mais bon, moi je suis du c么t茅 de ce conte classique-l脿 qui est plut么t destin茅 aux enfants, ou 脿 des adultes, par des adultes pour des enfants. Et donc, je passe du roman au conte et effectivement, cela dit, la marche est assez grande 脿 franchir et en fait ce sont deux mains, pour 茅crire, qui sont absolument diff茅rentes. Comment je passe de l'une 脿 l'autre? Eh bien, justement, je passe de l'un 脿 l'autre, c'est-脿-dire que j'茅cris pas en m锚me temps un roman et des contes. L脿 en ce moment je suis en train d'essayer鈥� je transpire ce projet de roman et je tiens le conte 脿 distance. Ce qui n'emp锚chera pas que si je continue 脿 s茅cher aussi lamentablement sur le roman, j'envoie tout promener et je me dis, bon, je vais essayer de s茅cher sur un conte, car je commence aussi maintenant 脿 apprendre 脿 s茅cher sur les contes.

J'茅cris parce que 莽a me fait plaisir, pour me faire plaisir, d'abord 脿 moi, 茅go茂stement. C'est le domaine du conte encore une fois, plus que le domaine de la litt茅rature, qui s'adresse directement et exclusivement 脿 des enfants, bien que j'aie maintenant le souci (au d茅but je l'avais moins), vraiment le souci, d'锚tre lisible par les enfants, m锚me s'il y a des difficult茅s qui leur 茅chappe, mais 莽a chacun sait, tous les sp茅cialistes de la question vous le diront, que les enfants n'ont pas besoin de tout comprendre et que, pareil, ils comprennent beaucoup plus de choses qu'on ne le croit.

Pour ce qui est des anachronismes, moi je les aime bien, mais je trouve que c'est une facilit茅, dont j'ai recours quand ils se pr茅sentent, 脿 condition que 莽a ne paraisse pas trop grossier, mais disons que ce n'est pas la chose la plus int茅ressante forc茅ment. Mais c'est toujours amusant de temps en temps de glisser un grille-pain鈥� vous savez, c'est un peu le ressort de l'humour des聽Monty Python, finalement, j'ai rien invent茅鈥�

J'ai beaucoup de tendresse pour les canards, cela dit. Il y a un canard assez sympathique dans mon prochain livre, en plus qui est un r么le assez effac茅, un canard d茅sint茅ress茅, qui aide son prochain. Vous savez, le canard chez Marcel Aym茅, il est assez pr茅sent鈥� j'allais 茅crire un petit article qui s'appelait 芦 Le canard modeste de Marcel Aym茅 禄, un canard qui n'a jamais un r么le tr猫s en avant, mais il faut qu'il soit l脿 quand m锚me. C'est un bon compagnon, le canard.

L'id茅e de d茅part est ce聽pitch聽des homonymies. C'est parti de l脿. 脌 partir de l脿 il fallait que j'invente un jeu, puis une raison d'en arriver 脿 ce jeu. Bon, 莽a va, je l'ai trouv茅e, elle est presque naturelle : le cochon en a marre de se faire courir apr猫s. Il a fallu que j'invente un cochon qui court tr猫s vite.

C'est l'histoire qui a amen茅 les personnages. Le sc茅nario qui a amen茅鈥� le sch茅ma quoi.

Il y a une l茅g猫re modification : c'est le langage beaucoup qui intervient depuis quelques contes. Pas toujours, mais dans celui-l脿 donc,听Le g茅ant et le gigot, qui est un truc sur les mots, essentiellement. Le dernier renouv猫lement en date c'est 莽a. C'est-脿-dire que j'ai rien chang茅 au personnel, 茅videmment parce qu'on ne peut rien y changer. Les situations sont un petit peu toujours les m锚mes aussi. Mais c'est plut么t la construction鈥� Parfois je pars sur une phrase, sur un jeu de mots de d茅part. Je me souviens que j'avais commenc茅聽Le g茅ant et le gigot, qui est un texte que j'aime vraiment bien, par une phrase que j'aime pas 茅norm茅ment et qui 茅tait une allit茅ration en 芦 f 禄 : 芦 Il 茅tait une fois une f茅e folle de fleurs. 禄 Mais 莽a m'a amen茅 sur 莽a, sur une id茅e qui, elle, est beaucoup plus f茅conde.

Les objets, j'ai abandonn茅, compl猫tement, les objets, anim茅s. C'est beaucoup plus difficile 脿 faire et puis c'est pas ce que les enfants pr茅f猫rent, j'ai l'impression. C'est peut-锚tre parce que j'avais 茅crit une histoire sur des armoires normandes et Genevi猫ve Brisac m'avait dit : 芦 c'est un peu allemand quand m锚me, c'est un peu lourd 脿 d茅placer des armoires 禄, effectivement. Mais moi je l'aimais bien cette histoire. Enfin, bref, j'ai arr锚t茅 les objets. J'ai arr锚t茅 les l茅gumes aussi. J'ai anim茅 beaucoup de l茅gumes. Les l茅gumes je pourrais en remettre [intervention de l'interviewer qui propose d'茅crire sur une soupe]. 脟a c'est une id茅e : des l茅gumes qui ont peur de finir en soupe, hach茅s menus鈥� un robot鈥� c'est pas b锚te 莽a.

En l'茅crivant, j'avais parfaitement conscience qu'un enfant un peu attentif, un lecteur un peu attentif mais en l'occurrence un enfant un peu attentif, d茅couvrait la r茅ponse avant m锚me que je la donne. Mais en fait, ce qui pourrait appara卯tre ici comme une faiblesse se r茅v猫le plut么t comme un atout : c'est-脿-dire que les enfants sont tr猫s contents de d茅couvrir avant. Vous voyez? Il y a un jeu鈥� du coup 莽a donne au livre, qui de ce point de vue-l脿 pourrait 锚tre faible parce que, bon, c'est pas totalement renversant les r茅ponses, un c么t茅 interactif qui est pas si mal, qui fonctionne bien.

On peut toujours aller chercher des personnages un peu marginaux comme l'araign茅e, comme les coccinelles鈥� j'en oublie l脿, ils ne me viennent pas en t锚te鈥� qui font aussi l'objet d'histoires pour les enfants. Mais au fond, c'est dans les vieux pots qu'on fait les meilleures recettes, et, surtout, c'est pas pour rien que le loup et le cochon, en tout cas ici en occident, sont des personnages tr猫s, tr猫s embl茅matiques et porteurs鈥� bon, 脿 partir 茅videmment des聽Trois petits cochons, qui est pour moi la base, le noeud de l'affaire. Et puis on a tout de suite un danger : un m茅chant et une victime et un bourreau. Des oppositions sont tranch茅es. C'est bien. Outre que le cochon est un animal plut么t sympathique.

Le cochon des histoires, comme vous pouvez l'imaginer ais茅ment, vient des premi猫res images que j'ai du cochon, c'est-脿-dire des albums聽P猫re Castor, qui reproduisaient les films de聽Walt Disney. Et donc c'est le gentil cochon, brave cochon et le cochon qui finit toujours par se tirer des pattes du loup, et donc malin.