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Dans cet ouvrage qui porte sur la vie et l'oeuvre d'Anton Tchekhov (qu'elle 茅crit 芦 Tchekov 禄), la conception du roman d'Ir猫ne N茅mirovsky transpara卯t, de fa莽on fragmentaire, en particulier par le biais de comparaisons entre l'art du romancier et celui du nouvelliste. Loin devant le Tchekhov dramaturge, c'est en effet avant tout le Tchekhov nouvelliste qui int茅resse et que loue N茅mirovsky.
芦 La nouvelle, pour 锚tre r茅ussie, exige les qualit茅s que Tchekov poss茅dait de naissance. 鈥� Le don de l'humour : un long roman tragique donne une impression de fatalit茅 grandiose; un court r茅cit o霉 la tristesse est trop lourde et noire accable et r茅pugne. 鈥� La pudeur : le romancier peut (et doit parfois) parler de lui-m锚me; pour un auteur de nouvelles, c'est impossible : le temps lui est mesur茅; l'茅crivain ne peut alors se d茅voiler dans sa complexit茅, dans sa richesse; le plus sage pour lui est de se tenir 脿 l'茅cart. 鈥� L'茅conomie des moyens, enfin, r茅sultat direct, sans doute, de la pudeur. Ici, il avait 茅t茅 servi par son exp茅rience de reporter : voir et 茅crire vite, c'茅tait la loi du journalisme, et elle avait aiguis茅 la vision de Tchekov; elle avait dou茅 son esprit qui tenait du prodige. D茅j脿, dans ses r茅cits, per莽ait cette apparente froideur, ce d茅tachement qu'on devait lui reprocher plus tard. C'茅tait encore la loi du genre. Un auteur de nouvelles, s'il montre sa piti茅 pour ses personnages, risque de devenir sentimental et absurde. Peut-锚tre aussi n'a-t-il pas le loisir de s'attacher 脿 ceux qu'il d茅crit. Par un roman, on p茅n猫tre dans un milieu d茅termin茅, on s'en impr猫gne; on le ch茅rit ou on le hait. Mais une nouvelle, c'est une porte entr'ouverte un instant sur une maison inconnue et referm茅e aussit么t. On ne peut s'emp锚cher de songer 脿 Tchekov m茅decin; c'est une exp茅rience de m茅decin qu'il nous donne, plus l'exp茅rience du journaliste : des diagnostics pr茅cis, sans faiblesse, sans piti茅 morbide, mais avec une sympathie profonde. 禄 (p. 122-123)
芦 Maupassant, M茅rim茅e, d'autres encore, dans leurs nouvelles mettent en lumi猫re un 茅pisode, un 茅v茅nement unique. La multiplicit茅 des personnages et des sc猫nes est r茅serv茅e au roman. Cela semble logique; en fait, cela est arbitraire comme la plupart des r猫gles artistiques. Lorsque, dans une nouvelle ou un roman, on met en relief un h茅ros ou un fait, on appauvrit l'histoire; la complexit茅, la beaut茅, la profondeur de la r茅alit茅 d茅pendent de ces liens nombreux qui vont d'un homme 脿 un autre, d'une existence 脿 une autre existence, d'une joie 脿 une douleur.
Tchekov s'efforce d'enfermer beaucoup d'exp茅rience humaine dans un nombre restreint de pages.聽Les Comm猫res, par exemple, contiennent le r茅cit d'une aventure romanesque, en elle-m锚me significative et tragique. [...] L'amour du marchand n'est pas un ph茅nom猫ne isol茅; il est reli茅 脿 tout un ensemble d'amours et d'aventures; tout ici-bas influe sur ce qui l'entoure. 禄 (p. 169-170)
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芦 2 juin 1942 : ne jamais oublier que la guerre passera et que toute la partie historique p芒lira. T芒cher de faire le plus possible de choses, de d茅bats... qui peuvent int茅resser les gens en 1952 ou en 2052. 禄 (p. 402)
芦 L'important 鈥� les relations entre diff茅rentes parties de l'oeuvre. Si je connaissais mieux la musique, je suppose que cela pourrait m'aider. 脌 d茅faut de musique, ce qu'on appelle rythme au cin茅ma. En somme, souci de la vari茅t茅 d'un c么t茅 et harmonie de l'autre. Au cin茅ma, un film doit avoir une unit茅, un ton, un style. Ex. : ces films am茅ricains de la rue o霉 toujours on retrouve les gratte-ciel, o霉 on devine l'atmosph猫re chaude, sourde, poisseuse d'un c么t茅 new-yorkais. Donc unit茅 pour tout le film mais vari茅t茅 entre les parties. Poursuite 鈥� les amoureux 鈥� le rire, les larmes, etc. C'est ce genre de rythme que je voudrais atteindre. 禄 (p. 403)
芦 Je crois que ce qui donne 脿聽Guerre et Paix聽cette expansion dont parle Forster, c'est tout simplement que dans l'esprit de Tolsto茂,聽Guerre et Paix聽n'est qu'un premier volume qui devrait 锚tre suivi par Les D茅cembristes,聽mais ce qu'il a fait inconsciemment (peut-锚tre, car naturellement je n'en sais rien, j'imagine) enfin ce qu'il a fait consciemment ou non est tr猫s important 脿 faire dans un livre comme聽罢别尘辫锚迟别听摆en juin],聽etc., m锚me si certains personnages arrivent 脿 une conclusion, le livre lui-m锚me doit donner l'impression de n'锚tre qu'un 茅pisode... ce qu'est r茅ellement notre 茅poque, comme toutes les 茅poques bien s没r. 禄 (p. 405)
芦 Le plus important ici et le plus int茅ressant est la chose suivante : les faits historiques, r茅volutionnaires, etc., doivent 锚tre effleur茅s, tandis que ce qui est approfondi, c'est la vie quotidienne, affective et surtout la com茅die que cela pr茅sente. 禄 (p. 407) |
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Cette biographie cite abondamment les manuscrits et leurs annotations, les carnets de N茅miovsky et les entrevues qu'elle a donn茅es. Au sujet de l'art n茅mirovskyen du roman, on consultera en particulier les transcriptions, en annexe (p. 429-436), de quatre entrevues accord茅es par Ir猫ne N茅mirovsky au d茅but des ann茅es 1930.
芦 Il est tout 脿 fait certain que s'il y avait eu Hitler, j'eusse grandement adouci聽David Golder, et ne l'aurais pas 茅crit dans le m锚me sens [...] Et pourtant, j'aurais eu tort, c'e没t 茅t茅 une faiblesse indigne d'un v茅ritable 茅crivain! 禄 (p. 188)
[脌 la relecture de sa premi猫re version du聽Pion sur l'茅chiquier聽(1934), N茅mirovsky note] : 芦 Beaucoup trop net, expliqu茅, trop les points sur les i. Inutile. [鈥 dire en deux mots ce qui 茅tait dit en dix, en un seul ce qui 茅tait dit en deux, et que chaque mot soit sinc猫re, et dise bien ce qu'il veut dire, finalement dise plus qu'il ne veut dire. 禄 (p. 242)
[Extrait du pri猫re d'ins茅rer des聽Chiens et les Loups聽(1940)] : 芦 Je crains davantage, toutefois, l'objection des Juifs eux-m锚mes : ''Pourquoi'', diront-ils, ''parler de nous? Ignorez-vous la pers茅cution dont nous sommes victimes, la haine dont on nous poursuit? Si, du moins, on parle de nous, que ce soit uniquement pour glorifier nos vertus et pleurer sur nos malheurs!''
脌 cela je r茅pondrais qu'il n'est pas de sujet ''tabou'' en litt茅rature. Pourquoi un peuple refuserait-il d'锚tre vu tel qu'il est, avec ses qualit茅s et ses d茅fauts?
Je pense que certains Juifs se reconna卯tront dans mes personnages. Peut-锚tre m'en voudront-ils? Mais je sais que je dis la v茅rit茅. 禄 (p. 338)
芦 Ce qui m'int茅resse toujours c'est d'essayer de surprendre l'芒me humaine sous les dehors sociaux du financier comme dans聽David Golder聽ou de l'homme d'脡tat comme dans l'Affaire Courilof, de d茅masquer, en un mot, la v茅rit茅 profonde qui est presque toujours en opposition avec l'apparence. 禄 (p. 432)
芦 Rassurez-vous. Le livre ne sera pas aussi copieux, je n'aime pas les romans qui s'茅tirent d茅sesp茅r茅ment... Vous voyez ces traits de crayon rouges et bleus? Tous les passages encadr茅s seront impitoyablement supprim茅s. Les autres seuls demeureront. Un plan? Je crois qu'un plan trop serr茅 est un danger, j'茅cris d'abord le livre en entier, le plan vient ensuite de lui-m锚me. C'est la mani猫re de Barr猫s, et je pense que c'est la bonne. (p. 435)
[脌 propos de son propre rapport 脿 la guerre lorsqu'elle r茅dige聽Suite fran莽aise, en pleine Occupation, 脿 celui de Tolsto茂 avec les 茅v茅nements historiques qu'il int猫gre 脿聽Guerre et paix聽]: 芦 Il s'en foutait. Oui, mais moi, je travaille sur de la lave br没lante. 脌 tort ou 脿 raison, je crois que c'est ce qui doit distinguer l'art de notre temps de celui des autres, c'est que nous sculptons l'instantan茅, nous travaillons sur des choses br没lantes. 脟a se d茅fait, certes, mais c'est justement ce qui est n茅cessaire dans l'Art d'aujourd'hui. Si pareille impression a un sens, c'est un devenir perp茅tuel, et non qq. chose de d茅j脿 achev茅. Cf. cin茅ma. 禄 (p. 403)
芦 Je ne fais jamais de plan. Je commence par 茅crire pour moi toute seule l'apparence physique et la biographie compl猫te de tous les personnages, m锚me les moins importants. De cette fa莽on, avant m锚me de m'atteler 脿 la r茅daction proprement dite, je connais parfaitement mes personnages et il me semble jusqu'脿 leurs intonations : tous les cas de la vie. Lorsque ceci est fait, je commence 脿 茅crire, dans un brouillon informe, le roman lui-m锚me et en m锚me temps les r茅flexions qu'il me sugg猫re, le journal m锚me du roman, pour reprendre l'expression d'Andr茅 Gide. Ensuite je laisse le tout reposer en m'effor莽ant de ne plus penser 脿 la litt茅rature. Quand je le reprends, tout para卯t s'organiser, se composer de soi-m锚me. [...] il y en a encore une troisi猫me [version] que je tape moi-m锚me 鈥� les deux autres ont 茅t茅 茅crites 鈥� mais elle ne porte gu猫re que sur le style, que j'essaie tout bonnement de garder le plus simple possible.
鈥� Et sur les 茅preuves?
鈥� Je ne corrige que les d茅tails. 禄 (p. 433-434)
脌 un journaliste qui lui demande ce qu'elle pense du 芦 roman-fleuve 禄, elle r茅pond : 芦 Je l'aime beaucoup quand il jaillit de source. C'est-脿-dire quand l'histoire 茅crite en deux tomes ne pouvait pas 锚tre 茅crite en un seul. Par exemple聽Guerre et Paix, 脿 mon avis, ne pouvait pas 锚tre diminu茅 d'une ligne. De m锚me, en France, la s茅rie des聽Thibault.
Mais dans d'autres cas, cela s'appelle tout bonnement du remplissage, et je vous avoue que mes pr茅f茅rences vont 脿 ce qui peut 锚tre dit en une page au lieu de deux, et en dix lignes au lieu d'une page. Mais tout cela est une affaire de go没t personnel. 禄 (p. 434)
芦 Je vous l'ai dit tout 脿 l'heure, j'adore me raconter des histoires; or, c'est exactement ce que je fais avant d'茅crire roman, je travaille dans la masse, je sors un 脿 un mes personnages dont j'茅cris toute la vie, leur physique, leur 茅ducation, ce que seraient leurs r茅actions en pr茅sence d'茅v茅nements 茅trangers au livre lui-m锚me. Je couvre ainsi des pages et des pages, je vis avec eux. [...] Je remplis des cahiers avec les caract猫res de mes personnages les plus secondaires. Cette vie ant茅rieure du roman est pour moi passionnante. C'est tr猫s amusant de faire vivre les personnages dans l'enfance : ainsi, pour聽Le Pion sur l'茅chiquier, j'ai mis Muriel en prison, je l'ai fait d茅buter dans le monde. Toute l'enfance et la jeunesse de Genevi猫ve, je pris un plaisir extr锚me 脿 les imaginer. [...] c'est pour moi le commencement du roman, la naissance de mes personnages qui constitue le plaisir d'茅crire, le reste est le vrai travail. [...] J'invente tous mes personnages, et ceux que je n'invente pas demeurent toujours un peu flous. On ne les voit pas aussi nettement que les autres. Ils sont toujours outr茅s, ils d茅passent le mod猫le [...] Gloria, dans聽David Golder, Philippe, du聽Pion sur l'茅chiquier聽et m锚me Muriel, pour laquelle j'ai emprunt茅 quelques traits. L'锚tre humain est trop complexe pour entrer dans le cadre d'un roman, il 茅clate ou il reste inf茅rieur 脿 lui-m锚me, les types que je ne conna卯trais pas assez bien pour imaginer leurs sentiments, leurs r茅actions. Aussi, je continue 脿 peindre la soci茅t茅 que je connais le mieux et qui se compose de gens d茅sax茅s, sortis du milieu, du pays o霉 ils eussent normalement v茅cu, et qui ne s'adaptent pas sans choc ni sans souffrances 脿 une vie nouvelle. 禄 (p. 458)
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Ir猫ne N茅mirovsky