Protection des milieux humides : une deuxième chance à saisir
Les milieux humides sont parmi les écosystèmes les plus menacés du monde. Cela dit, selon une étude publiée récemment dans la revue , l’étendue des zones humides convertie, dégradée ou perdue sur la planète depuis l’an 1700 a probablement été surestimée. C’est une bonne nouvelle, mais ce portrait global cache des variations notables; ainsi, plusieurs régions et certains types de zones humides ont subies de fortes pressions. Par exemple, les plaines inondables des zones tempérées ont été durement touchées, alors que les tourbières des régions boréales et arctiques ont été largement épargné. Même si la conversion et dégradation des milieux humides ont ralenti à l’échelle de la planète, elles progressent néanmoins toujours dans certaines régions, notamment en Indonésie, où agriculteurs et grandes entreprises continuent de convertir des tourbières tropicales en cultivations intensives. En jetant un nouvel éclairage sur la perte de milieux humides, les résultats de cette étude pourront contribuer à une priorisation plus judicieuse des mesures de conservation et de restauration des milieux humides.
Une reconstruction historique aux résultats étonnantsÂ
Pourtant essentiels pour purifier l’eau, recharger la nappe phréatique et séquestrer le carbone, les milieux humides étaient autrefois considérés comme des zones stériles, infestées d’insectes vecteurs de maladies. Jusqu’à récemment, ces endroits étaient considérés sans valeurs, destinés à être drainés à des fins d’agriculture ou d’extraction de tourbe pouvant servir de combustible ou de fertilisant. Malmenés par des travaux d’assainissements incessants aux fins d’aménagement de terres agricoles et de zones urbaines ainsi que par les incendies et l’extraction des eaux souterraines, les milieux humides figurent aujourd’hui parmi les écosystèmes les plus menacés du monde.
Faute de données historiques, les scientifiques devaient jusqu’à maintenant tenter d’estimer l’impact planétaire réel de la perte de milieux humides en s’appuyant sur des données régionales incomplètes. Afin d’avoir une idée de la distribution des milieux humides en l’an 1700, une équipe de recherche de l’Université de Stanford ainsi que des universités Cornell et À¦°óSMÉçÇø a procédé à une reconstruction historique inédite : elle a compilé des milliers de registres de drainage et de changement d’affectation de milieux humides dans 154 pays, pour ensuite reporter ces milieux drainés sur des cartes rendant compte des zones humides actuelles.
Une perte moindre que les chiffres évoqués antérieurement
Selon ces travaux, l’étendue des milieux humides a diminué de 21 à 35 % depuis l’an 1700 à cause d’interventions humaines. On est très loin du recul de 50 à 87 % évoqué dans des études antérieures. Cette estimation moindre tient sans doute à la portée plus vaste de l’étude – l’équipe n’a pas été limités aux régions où de lourdes pertes sont bien documentés – et à l’absence d’extrapolations hardies, qui peuvent se révéler trompeuses. N’empêche que selon les auteurs, au moins 3,4 millions de kilomètres carrés de milieux humides ont disparu dans le monde au cours des 300 dernières années, soit à peu près l’équivalent de la superficie du territoire de l’Inde. Plus de 40 % de ces pertes sont survenues dans les cinq pays affichant les pertes les plus importants, à savoir les États-Unis, la Chine, l’Inde, la Russie et l’Indonésie.
Légende : La carte montre les différences dans la répartition géographique des régions ayant subi une perte de milieux humides et des régions où les milieux humides persistes sans pertes majeures de 1700 à 2020. Les régions colorées en jaune et en rouge ont subi de lourdes pertes, tandis que les régions en bleu ont été grandement épargnées et présentent, encore aujourd’hui, une forte densité de milieux humides.
« Les pertes sont extraordinairement élevées dans de nombreuses régions du monde, mais nos résultats nous mènent à des pertes à l'échelle mondiales moins lourdes qu’on le croyait. Il demeure très urgent de freiner la transformation et la dégradation des milieux humides, et de réparer les dégâts, surtout dans les régions ayant subi des pertes importantes. Les disparités géographiques ont une importance cruciale, parce que le drainage de milieux humide a des répercussions locales qui ne peuvent être compensé par la présence de milieux humides ailleurs », explique l’auteur principal, Etienne Fluet-Chouinard, chercheur postdoctorant au Département des sciences du système terrestre de l’Université de Stanford au moment de l’étude, et qui a conçu cette étude pendant sa maîtrise au Département de géographie de l’Université À¦°óSMÉçÇø.
On estime que le Canada a perdu 3,8 % (83 000 km2) de ses milieux humides depuis l’an 1700. Cependant, il ne contribue qu’à 2 % des pertes mondiales vu l’énorme étendue de ces écosystèmes, qui couvrent quelque 2 millions de kilomètres carrés du territoire canadien. Précisons toutefois que les pertes et la dégradation imputables à l’exploitation minière et à l’extraction de combustibles fossiles ne sont pas prises en compte dans ces estimations. Les milieux humides vierges du Canada sont en grande partie des tourbières, situées en région boréale ou arctique. Dans la plupart des cas, ces milieux humides ne sont pas menacés directement par les activités humaines, mais ils pourraient l’être par les conséquences des changements climatiques, soit la fonte du pergélisol, les sécheresses et les incendies.
Il est encore temps d’agir
« Dans leur état naturel, les milieux humides sont des écosystèmes de première importance pour la régulation de nos ressources hydriques et, à ce titre, prodiguent leurs bienfaits tant aux êtres humains qu’à l’environnement, précise Bernhard Lehner, coauteur de l’article et spécialiste en hydrologie mondiale à l’Université À¦°óSMÉçÇø. « Nous savons maintenant que les pertes de milieux humides sont moins élevées que nous le pensions, alors il n’en tient qu’à nous de saisir cette deuxième chance d’agir pour préserver les milieux humides qui ont persistés jusqu’à aujourd’hui. Pour ce faire, nous devons nous donner les moyens d’évaluer plus précisément leur étendue au travers le temps, soit par satellite ou autres méthodes d’observation. Nous serons ainsi en mesure d’évaluer notre progrès envers les objectifs de conservation et de restauration fixés par la communauté internationale.Â
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L’article « », par Etienne Fluet‑Chouinard et coll., a été publié dans .
L’Université À¦°óSMÉçÇø
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Son ne date pas d’hier : il remonte à des dizaines d’années et se déploie à l’échelle tant locale que planétaire. Comme en témoignent les énoncés de durabilité qu’elle a signés, l’Université souhaite contribuer à façonner un avenir où l’être humain pourra s’épanouir dans le respect de la planète.